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art floral

Chaque incursion aux US vous reprend cette sensation de quelque chose de très cru et violent, dans une taille au-delà de nos habitudes de taille, et la facilité pourtant à enclencher le contact à micro-échelle, la façon dont un micro-univers devient univers total. C’est ce que j’aime aussi dans l’art américain, et pas que chez Hopper. Ce matin, Institute of Fine Arts de Boston, un rendez-vous évidemment de même intensité que le MET de New York ou l’AGO de Toronto. Seulement voilà, pendant 2 jours, c’est démonstration d’art floral. Chaque club de quartier a choisi une oeuvre (Giacometti y a échappé, mais c’est probablement le seul) et propose un bouquet en lien avec l’oeuvre. Et pendant 2 jours, ils défilent par groupes de bouquet à bouquet, derrière une animatrice bénévole qui lit à haute voix la proclamation d’intention du club concerné. Mais ce n’est pas vingt groupes, c’est cent groupes, deux cents, de dix à douze dames uniformément blanches (pas vu une seule Noire de toute la matinée, sur les mille ou deux mille qu’étaient ces floralistes de quartier). Des visages de série télé second ordre, et ça ne tient pas à l’âge ni au sexe (dans chaque groupe, statistiquement, il y avait un monsieur). Juste cette petite bourgeoisie massive et décatie des horizons plats, qui ignorait parfaitement les tableaux, leur tournait le dos, mais s’empiffrait de tulipes, orchidées, ellébore et artichaut (ah oui, ça coûtait cher, cette camelote).À la fin, je faisais tut tut à voix bien haute dans les allées pour approcher Monet. Après tout, qu’est-ce que l’art, dans un musée, sinon ce qui leur appartient à eux, les WASP fin de comète, en tant que catégorie sociale ? Bon, il a fallu quelques heures de marche l’après-midi pour se réconcilier avec Boston, qui n’a pas la magie de New York (quand Toronto en est doté, de cette énergie et ce brassage). Ce matin, combien de bouquets dispersés devant les oeuvres, deux cents ? Tout, je vous dis, à une autre échelle. Mais ce que les dames évaluaient et jugeaient, c’était le mimétisme : immense succès, dans la salle aux six extraordinaires Rembrandt qu’elles n’ont pas regardés, pour cette composition avec paon et volaille : la composition florale imitait vraiment la poule. On peut haïr l’Amérique autant qu’on peut l’aimer.


François Bon © Tiers Livre Éditeur, mentions légales
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1ère mise en ligne et dernière modification le 27 avril 2010
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