< Tiers Livre, le journal images : à quoi se raccrocher ?

à quoi se raccrocher ?

Ce n’est pas que l’époque aille trop vite : cette vitesse, dans les domaines où ça avance, on sait l’appréhender, c’est passionnant. Plutôt qu’on dirait que les pieds manquent : ce qu’on croyait stable s’effondre, glisse vers l’arrière. Ce qu’on essaye de construire de nouveau reste comme un petit arbre maigre, du moins à son propre regard (reste qu’on peut faire drôlement quelque chose, avec un petit arbre maigre : voir celui d’En attendant Godot). On contemple son maigre bagage : qu’y avait-il, hors les livres ? Et puis on n’a même plus tant besoin des livres (on en achète quand même, on repart encore des heures dans la nouvelle promesse). On entend des choses bizarres : – On avait vraiment besoin de précurseurs, vous dit-on au passé. C’est que l’époque manque de prise, plutôt. On les voit s’agiter, on dirait une criée généralisée, les retrouvailles dans les gares, les lumières qui clignent. Puis finalement on rejoint son insomnie : la machine est sur les genoux. L’objet pourtant n’est pas la machine elle-même, plutôt ce territoire loin, fait d’écritures où on marche, voit, entend, et où on aimerait tant migrer. On perçoit tout cela dans la nuit autour, la vitesse des choses comme disait ce livre lu l’an passé, peut-être une des rares expériences de roman qui m’ait été encore accessibles. Dans ce grand mouvement lancé, on perçoit les grondements, encore lointains, des fissures, des retraits. On se dit que peut-être, à tenir dans cette lancée, à se lover dans la grande nuit, on pourrait à terme percevoir le nouveau sol. On tente, alors, une main, un pied, un regard : mais rien, rien encore. Il faut tenir : est-ce qu’on le pourra, le saura ?


François Bon © Tiers Livre Éditeur, mentions légales
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1ère mise en ligne et dernière modification le 23 décembre 2009
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