< Tiers Livre, le journal images : 2009.11.30 | expropriation

2009.11.30 | expropriation

une autre date au hasard :
2009.01.13 | lever de jour sur le Cher

« Il fait partie de mon bonheur de n’être pas propriétaire », disait Nietzsche. Ça console. Est-ce que j’en ai profité comme j’aurais pu ? La découverte d’un pays est une appropriation lente, qui racle au fond. Il faut apprendre l’espace, entendre la distorsion de la langue, apprendre à cerner la rudesse des visages. Écouter le bouleversement intérieur s’établir. Peut-être là, maintenant, après 3 mois de rues, de bus, de voix et visages, j’entrerais autrement dans ce vaste espace souterrain, coiffé par l’église murée, voisinant dans l’autre partie du sous-sol (on les aperçoit par une ouverture grillagée) les occupants tout aussi silencieux d’une des bibliothèques municipales, vouée à la distribution des Musso et autres Angelil aux personnes très âgées qui seules persistent à occuper ce quartier comme hors ville. C’est ce silence qui me manquera. Lieu sans même cette permanente vibration du sol qui définit la ville (je le sais, j’y avais déployé, pour des expériences d’enregistrement très lent des bruits de la nuit et de la voix des morts, un micro statique Rode), sans distraction sous la terre, et cette grande table à dessus de cuir pour l’attente, et les mots qui finissent par scintiller dans la tête, s’y agripper vite pour la copie. Lumière jour et nuit égale, celle des lampes. Bon souvenir la semaine passée : séance Tarkos à dix, dans les recoins, par terre, avec un verre et nos écritures. C’est la loi et elle est saine, place au suivant (la suivante, une Roumaine de Montréal : Felicia Mihali). Après tout, c’est notre force d’écrivain : dans les bistrots, le car ou les rues, ou à cette table ici, lestée d’écrans, je pourrai toujours me reconstruire le silence dans la tête, et me l’offrir comme fiction – avoir disposé, trois mois durant (mais où il y avait trop à regarder, entendre et faire, c’est passé trop vite), d’une chambre d’écriture où s’en aller à la rencontre de soi-même, sans site, sans bruit du dehors, sans même plus de ville que cette pluie de pierre dont les Jésuites de France avaient voulu ici assommer les Indiens, et qu’eux désormais ils gardent comme si c’était histoire légitime. On devrait mettre un auteur sous chaque église, et vider, comme ici, ce qui dépasse. Promis, je rends la clé, je pars : mes barres panique sont réactivées, je vous l’assure ! Un grand merci à l’Institut canadien de Québec, même si la route continue bien sûr...


François Bon © Tiers Livre Éditeur, mentions légales
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1ère mise en ligne et dernière modification le 30 novembre 2009
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