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toucher du livre

une autre date au hasard :
2020.09.18 | réglages

Hier soir dans le train, éclusé ma batterie à relecture, correction puis mise en page des Lettres à un jeune poète de Rilke. En fait, même sur publie.net, il y aurait peut-être eu d’autres urgences (suis sur gros morceaux, Ancet, Leclair, Sorrente) mais justement, pour que la démarche ait du sens, toujours passer en avant ce qu’on sent intuitivement. Les mots de Rilke comptent, et ceux-là encore plus, parce que livre qu’on a longtemps porté, puis offert. Je l’avais depuis longtemps dans ma bibliothèque numérique, mais mal présenté, plus des coquilles. Comment se saisir de la force écran pour la rapprocher comme juste sous le niveau de la feuille, et que ça se remettre à vivre ? Et si je trouve ça pour Rilke, je saurai aussi le faire pour les autres. De quatre mois en quatre mois, l’impression que la notion de mise en page a bougé, comme une pâte qu’on étale à la main, mais une pâte mobile, susceptible de vivre et se déplacer à l’écran. Et, dans ce cas-là, bien sûr que ça remplace le livre, le toucher du livre – difficile de ne pas penser que le renversement est engagé, et peut se totaliser, ce qu’on n’aurait pas osé dire il y a encore quelques mois. Le renversement, c’est que dans l’ordinateur je transporte non pas, comme dans mon sac, tel ou tel livre, mais bien la totalité de ma bibliothèque, avec des outils de recherche qui s’exercent sur la totalité des titres, la possibilité de lecture dense si je bascule le fichier sur la Sony (en attendant nouvel appareil, parce que ça va vite, et la PRS-505, si elle reste le plus fiable et le plus facile de navigation des matériels dispo, reste peineuse pour la navigation dans une grosse bibliothèque). Et l’instance de plaisir, dans la lecture écran, c’est bien moins le support (peu importe de lire sur le Mac ou sur la Sony) que cette préparation du texte où le cheminement intérieur c’est le rapport au blanc, à la page, au repérage intérieur dans le texte – et ce qu’apporte l’ordinateur, bien plus que la « liseuse », par la possibilité du lire/écrire du même mouvement, la liaison réseau au même niveau que le texte. Ces derniers mois, avais même une sorte de blocage concernant publie.net, à me dire : magnifique outil pour le texte, mais le texte ne devient littérature que dans son rapport à la curiosité, l’information, l’imaginaire, et maintenant il n’est plus à lui seul dépositaire de ce rapport. Le texte en tant que tel tient aussi – en partie – d’une nécessité historique. D’avoir fait ce saut mental, se dire que ce qu’on fait sur publie.net peut s’ouvrir à radio, film, port-folios, c’est aussi ce que je demande au texte qui commence à revivre. C’est assez pour un dimanche (retour d’expo d’arts plastiques par collégiens de tout le département, réalisations étonnantes et le constat que la photo numérique était dans tous les travaux, avec un impact énorme sur le traitement de la réalité) – ou ces trois ordinateurs dépecés transformés en squelette : le numérique progressivement comme notre corps même, ses fonctions de perception, réflexion, action ? Couloirs obscurs, sur publie.net encore, d’habakuk.


François Bon © Tiers Livre Éditeur, mentions légales
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1ère mise en ligne et dernière modification le 21 juin 2009
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