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2008.11.23 | Hilton Montréal, nuits brûlantes

Le signal d’alerte se déclenche à 2h27, puis c’est l’ordre d’évacuation. À 48h de l’arrivée, les 6h de décalage horaire ont commencé de s’effacer, mais la sirène en plein sommeil fait découvrir dans quel état de rêve on est.

C’est très banal en soi, ce genre d’alerte, mais le Salon du livre c’est un énorme bloc de 5 niveaux dont 3 en sous-sol, au-dessus ce sont des bureaux, et l’hôtel occupe les 10ème, 11ème et 12ème étage. On pourrait faire ses heures de présence au Salon et retour chambre sans avoir à mettre un pied dans la ville.

Qu’est-ce qu’on emporte ? Le message d’évacuation défile en continu. Pas le temps de mettre des chaussettes, je prends le passeport, l’ordi et l’appareil photo. Il y a de la fumée dans les couloirs, des pompiers masqués et habillés cosmonautes (je photographie, mais sans m’apercevoir que l’appareil est réglé sur visionnage) nous envoient dans un escalier de ciment brut, on fait les 10 étages à pied avant de déboucher dans le vent, moins 10 dehors. On nous convoie deux rues plus loin : escalator, puis une sorte de grande caverne vide. C’est une patinoire. Plus tard, je penserai à cet ami chargé de la prospective catastrophe à la préfecture de Paris, et dont un des récents travaux était un plan de réquisition des patinoires en cas d’épidémie de grippe aviaire.

On a de la chance : d’autres couloirs de l’hôtel sont évacués par une autre sortie, on leur indiquera seulement l’entrée du métro et le corridor d’accès à la gare centrale, donc crasse et courants d’air. Vers 5h, en allant voir, j’aperçois des familles avec des bébés, manteau sur le pyjama.

Ce n’est pas le cas de tout le monde : ici, à la patinoire, un jeune couple anglophone a pris la précaution de recouvrir son caniche d’un vêtement molletonné bleu de bébé, avec manches et capuche. Il dort sur la dame pendant que le monsieur écoute son iPod.

On échange quelques paroles avec ceux qu’on voisine depuis 2 jours : c’est la Gray Cup, une espèce d’attraction nationale en forme de rugby aggravé, du coup on a les équipes de football américain professionnelles qui se mélangent à l’hôtel, et maintenant à la patinoire, avec leurs supporters à casquettes ou chapeaux, avec les plumitifs salonneurs et leurs éditeurs.

Ce n’est pas réellement température de saison, dans la patinoire. Mais bon, moins 10 dehors ça aide à trouver bien les 5 ou 6 degrés d’ici. Au bout du couloir, une rotonde nous permet de regarder le building gris opaque de l’hôtel, avec une vague fumée au-dessus qui ne rétrécit pas, et la bonne dizaine de véhicules incendie ou police : pas bon signe pour que ça finisse vite.

Le centre de congrès qui inclut l’hôtel, le salon du livre, plein de conférences et rencontres, est une ruche d’employés, mais ce n’est que vers 5h45 qu’on apercevra la première personne chargée de donner des infos. Pas mal comme gestion de crise (ils s’excuseront ce matin, prévenant que la nuit ne sera pas facturée : ça ne compense pas forcément le help yourself de l’évacuation).

En attendant, on fait durer comme on peut. Il y a un Tim Hortons ouvert, un peu plus haut, de l’autre côté des parkings, ça permet d’avoir quand même, vers les 5h, une boisson chaude en gobelet. Là aussi, quelques dizaines de personnes évacuées, que personne n’a informées de la mise à disposition de la patinoire.

On discute avec les vigiles : il y a cette patience et cette politesse propres au Québec, même s’ils ne peuvent pas faire plus ils sont chouettes. Les pompiers ont installé un poste de commandement. Finalement, il apparaît que le feu était localisé aux cuisines de l’hôtel, on nous convoie dans un nouveau labyrinthe pour retrouver les chambres, il est 6h à peu près.

J’aurai contemplé la cathédrale mystique qu’est une patinoire vide, la nuit.


François Bon © Tiers Livre Éditeur, mentions légales
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1ère mise en ligne et dernière modification le 23 novembre 2008
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