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2019.10.28 | les dix enterrés debout

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On allait raser le village. C’était trop gris, trop sombre, trop à l’écart de la route qui menait à la ville. On aurait de la place pour faire mieux, plus lumineux, pourquoi pas une grande tour vitrée qui permettrait à tous ceux qui se sentaient de venir vivre ici de voir jusqu’à la mer. Maintenant il n’y avait plus personne. Les dix avaient été les derniers. Il avait fallu négocier : obtenir leur accord pour raser. Le reste du village était abandonné, les pelleteuses avaient déjà évacué l’église, l’ancien cimetière, le tissu des maisons tellement étroites, tellement malcommodes, et pour la plupart murées. Il ne restait que ce bloc, en haut de la ville. Les dix avaient accepté finalement, mais qu’on les enterre debout, ici-même. Alors tout était prêt. On attendrait le temps qu’il faut. De toute façon il n’y avait plus rien autour, que l’étendue grise. Les tombes resteraient anonymes. Enterrés debout, c’était un symbole. Alors on avait érigé les plots. Quand le dernier plot recouvrirait le dernier corps, on démolirait et on étendrait sur eux les gravats. Une sorte de paix s’était ensuivie : celle d’avoir pacifié l’attente, pacifié le temps. Moi j’étais venu considérer les plots, six occupés, quatre libres encore. Cela nous concernait, bien sûr, cela concernait toute la ville.

 

 


François Bon © Tiers Livre Éditeur, mentions légales
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1ère mise en ligne et dernière modification le 28 octobre 2019
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