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2019.10.06 | Jean Gattegno, misérable relégation

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2014.10.25 | Cergy nuit, suite infinie
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Jean Gattegno (1935-1994) était déjà décédé quand j’ai commencé à venir régulièrement au 53 rue de Verneuil, principalement à l’époque pour les assemblées générales puis le conseil d’administration de ce qui était la Maison des Écrivains, c’est à l’époque par exemple qu’on avait mis en place (avec Patrick Souchon et Jean-Michel Maulpoix, Claude Ber –– Alain Lance étant directeur) le dispositif toujours en cours du « Temps des écrivains à l’université » et c’était passionnant. Les temps ont changé, peu à peu plus rien qu’une officine à ateliers d’écriture sous-gallimardisés, ça m’attriste mais ça ne me concerne plus.

Reste que, chaque fois que j’entrais au CNL, puis plus tard pour ces formidables séminaires de L’école de traduction littéraire, jamais je ne manquais de venir le saluer, Jean Gattegno. On se connaissait bien avant Mitterrand, mais ça ne regarde personne, disons que c’était avant que je publie Sortie d’usine, bien avant. Et puis, quand Jack Lang devient ministre de la Culture, il est directeur du livre au ministère et mène les énormes chantiers de l’époque, développement intensif du réseau de bibliothèques, prix unique du livre, et pour fluidifier tout ça un outil autonome, le Centre national des Lettres.

Je dis bien des Lettres, le remplacement par du Livre est venu plus tard. N’empêche, en tant que fondateur, son portrait était là, bien en évidence, et pour ceux comme moi ça comptait.

On sait que les temps sont précaires : le mandat du directeur du CNL s’est achevé il y a plusieurs mois, mais Vincent Monadé assure l’intérim sans successeur, barque à la dérive. Parce que cette structure s’est enflée de centaines de salariés, alors que son rôle ne devait être que de faire transiter l’argent public du soutien à la lecture et à la création ? Est-ce que le geste de Lang Mitterrand les marionnettes d’aujourd’hui oseraient l’annuler en dissolvant le CNL dans la bureaucratique Direction du livre, dont le responsable surnommé (l’insubmersible) (non, en fait c’est Nautilus qu’on l’appelle, mais il ne faut pas le dire et je ne m’en expliquerai pas ici, hein mo3t, hein reLire et d’autres...) doit être à son 11ème ministre de la Culture mais bon, ça aussi m’attriste mais ne me concerne pas.

Reste que ce matin, dès mon groupe lancé en écriture et que je viens pour mon petit salut à Jean Gattegno, le choc : relégué derrière un pupitre à tabourets et vulgaire ordinateur. Oui, c’est à l’image des temps. Quel soutier de base, ignorant de la politesse et de l’Histoire, s’est mêlé de ça ?

C’est cette impression, qui est si usante, depuis quelques années, de ces renoncements perpétuels, chacun tout petit, mais qui ensemble forment comme une grosse vague.

Ne leur pardonne pas, Jean, ils savaient très bien ce qu’ils faisaient.

Moi je l’ai foutu par terre, l’ordi minable, pour te photographier comme tu dois l’être. Mais le loufiat de service à l’accueil et ne répond même pas au bonjour l’aura remis, probablement, s’il a échappé un instant à son Facebook.

Gattegno était un formidable traducteur (les Brontë, Lewis Carroll, Oscar Wilde, Dickens), c’était un puits de littérature anglaise. Je me souviens du petit grenier où il vivait, rue de Castiglione, et les piles de SP qu’il recevait une fois devenu président du premier CNL : — Prends ce que tu veux. Là, par exemple, dans ma petite thurne, j’ai toujours cette édition du journal des Goncourt, prise chez lui.

Ce geste si symbolique d’écart, de relégation, ça m’a peiné, vraiment. Dites, si vous supprimez le CNL, vous m’offririez le portrait ? C’était mon ami.

 

 


François Bon © Tiers Livre Éditeur, mentions légales
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1ère mise en ligne et dernière modification le 6 octobre 2019
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