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2018.08.29 | l’épaisseur de l’image c’est dessous soi mort

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Découvrant hier cette problématique d’une épaisseur de l’image, je relis en détail cette belle étude de Tristan Garcia, pour un colloque à Rennes en 2012, et dont le titre est précisément quelle est l’épaisseur de l’image. Cette étude est formidable d’aperçus, notamment en repartant de la Philosophie de la photographie d’Henri Van Lier (et comme d’habitude, livre indisponible, vieille chanson). Mais surtout parce qu’en permanence référence au livre, là où moi-même je croisais ancienne réflexion sur l’épaisseur du livre numérique. Ainsi cette phrase : « le livre tend vers la voix comme l’image vers son épaisseur » qui m’a hanté un bon moment ensuite. Garcia développe consciencieusement toutes les figures différentes d’approche, platitude, illusion de relief, image 3D, mais comme d’inaugurer un déplacement depuis notre posture même de ce désir d’épaisseur, et de le renvoyer à nous-même, lisant la photographie : « comme le cinéma, l’image photographique n’a de sens que parce qu’elle a renoncé au relief pour pouvoir y prétendre », ou encore « l’origine ontologique de la photographie tient à l’aplatissement du volume vers la surface, sans atteindre jamais à la surface ; la destination historique de la photographie tient au déploiement de cette platitude dans l’espace, sans jamais atteindre au volume (sans jamais finir en statue). La photographie est donc un objet tridimensionnel qui se présente comme un semblant de surface »... Le virage s’énonce dans sa conclusion : « elle est plate – elle est un peu plus qu’une surface, mais un peu moins qu’un objet tridimensionnel [...] Nos images contemporaines sont des effets de surface qui cherchent à tâtons à devenir des effets de relief ; elles demeurent plates, mais elles cherchent toutes un semblant de volume ». Ma grande question, en fait, à lire les sources collationnées par Tristan Garcia — philosophe et écrivain, je n’ai pas eu vent qu’il soit autrement impliqué dans la photographie ? [1], il cite cependant Sebald...—, c’est que finalement si peu concernant cette problématique pour nous devenue d’autant plus cruciale qu’on ne passe pas par la matérialité du « tirage » mais que l’écran seul est support de notre relation à nos images. Alors comment ça renverse les miennes ? Je ferme les yeux pour que ce ne soit pas un autoportrait (en fermant les yeux, je me retire de l’image en tant que sujet), et je mets la petite molette du GH5 sur cette fonction que je n’avais pas encore utilisée : l’appareil fait six images lors du déclenchement, mais en déplaçant d’une à l’autre le point focale de gauche à droite sur la méridienne de l’image. Ce faisant, la sixième (ici absente) rendant nette l’arrière-plan et entièrement flou le visage, la preuve se fait d’un effacement, mais discret, si discret : l’ensemble du demi-visage, par le flou qui lui ronge la peau du dedans, devient le visage de soi mort. Voire un artefact photographique qui refabrique de votre visage ce qu’en feront les premiers instants de mort : tellement autre est le visage des siens morts dans l’adieu. C’est une des dimensions de mon travail depuis longtemps, et dans les figures les plus récentes mes Dialogues avec ta mort, et bien sûr Jean Barbin, qui piaffe qu’on rentre vite à la maison pour reprendre du service. Je ne fais pas de lien direct à l’épaisseur de l’image : juste qu’en elle-même l’image contient toujours, à ce point focal qui en chaque image s’enfuit, son propre effacement, et qu’au lieu précis de cet effacement est ce en quoi elle inclut son épaisseur. Enfin, devrait.

 


[1Mais comme auteur, évidemment déjà croisé, et voici ce qu’écrit sur lui dans Lire l’ami Alexandre Gefen : « Tristan Garcia se démultiplie pour accéder à l’un, individualise pour faire communauté, écrit les déchirements pour rêver les solidarités. “Un chef-d’œuvre n’est rien d’autre, de ce point de vue, qu’un objet d’art qui, en représentant toujours le même monde, transforme la forme sous laquelle il nous apparaît” propose Tristan Garcia dans son Traité des choses : à lire Âmes, projet démesuré et admirable, dont la réussite ou l’échec esthétique importent finalement peu, c’est le grand récit de l’histoire de l’humanité qui se voit infléchi au bénéfice des invisibles, ses légendes victorieuses réécrites au profit des vaincus, ses choix irréconciliables réunis par la fiction, son intensité ouverte aux non-humains, ses traditions culturelles séparées rassemblées dans une synthèse syncrétique et une fraternité métaphysique. »

François Bon © Tiers Livre Éditeur, mentions légales
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1ère mise en ligne et dernière modification le 28 août 2019
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