< Tiers Livre, le journal images : 2019.08.02 | du surclassement

2019.08.02 | du surclassement

une autre date au hasard :
2020.07.29 | souvenir des ponts de Chicago
précédent _ suivant

Le terme de classe, pour ceux de ma génération, c’est surtout associé à lutte des. Alors quand votre carte d’embarquement affiche soudain, au moment de monter dans l’Airbus, la mention Invalide on panique un peu mais non. L’arrière a été survendu m’informe-t-on, et comme un vendredi 2 août il n’y a pas beaucoup d’hommes d’affaires à bord (un seul, en classe de, et qui fera bien sentir sa réprobation silencieuse), me voilà avec d’autres surclassé, et on a droit au grand jeu, repas avec nappe etc. Mais c’est surtout le confort qui change tout. De la place pour les jambes, de la place pour les coudes, un fauteuil qui est un fauteuil (ô les navettes Air Transat, là c’est Air Canada), plus la prise de courant. Et donc pour les 7h de trajet, te voilà comme dans un petit bureau plein ciel. Ça change quoi : fin de la promiscuité. J’alterne mes paragraphes du Lovecraft en cours avec des lampées des Furtifs de Damasio sur le Kindle. Pas dormi, sinon 2 petits moments. Alors tu gamberges. J’ai laissé l’écran sur l’animation avec progression du chemin : le nom des fonds marins, le défilé des villes et des fuseaux horaires tout autour de la vieille planète. Conscience qu’on l’use tant trop : à Roissy, ce matin, dans la longue migration vers les portes d’enregistrement, sécurité, embarquement, cette impression qu’une aventure si récente et exceptionnelle est ravalée à l’usage de masse. Mais sans culpabilité : si on doit travailler sur ces questions, bien la nécessité de le faire ensemble. Amérique ou Europe, ou Asie, j’ai besoin de tout parce que j’appartiens à ce tout.

Alors on se prend à gamberger. On travaille différemment pourquoi ? Parce que cette petite bulle provisoirement suspendue dans le temps comme isolée dans l’espace vous remet en jonction avec cette idée d’une totalité. Pas possible de bouger, sinon se dégourdir un peu les pieds et se balancer un peu d’eau sur la figure, pas possible de descendre en route même si soudain je survole Sept-Îles où je vais repartir tout à l’heure. Alors pourquoi pas certains de ces avions pour remplacer — 48h ou 72h comme ça valant largement un mois de ces résidences d’auteur avec 30% du temps réservé aux interventions en public (sans que jamais on nous dise 30% de quel temps, mais ici dans l’avion le temps est la totalité de celui du trajet), on aurait droit à des bouts de tour du monde sans descendre, à Tokyo, Shangaï ou Hanoï on embarquerait nos potes et collègues de là-bas, on voyagerait travaillerait jusqu’à L.A. ou Toronto de concert et ainsi de suite. Ce seraient des avions d’écriture, on ferait cantine ensemble, sans cet étalage de caste de leur bouffe avec nappe (quand tu penses au rata délivré en éco).

Moi je dis c’est une idée à creuser. Savez-vous quoi, le plus surprenant de la classe affaires, c’est surtout de descendre de l’avion frais comme tu es monté. C’est pas souvent que comme ça on gagne au loto.

 


François Bon © Tiers Livre Éditeur, mentions légales
diffusion sous licence Creative Commons CC-BY-SA
1ère mise en ligne et dernière modification le 2 août 2019
merci aux 336 visiteurs qui ont consacré 1 minute au moins à cette page