< Tiers Livre, le journal images : 2017.04.03 | épaviste, écriviste

2017.04.03 | épaviste, écriviste

une autre date au hasard :
2011.07.09 | Melle, grenier du tribunal

On n’entend pas des nouveaux mots tous les jours, surtout s’ils ne sont pas nouveaux. Noms qu’on n’entend que si l’usage vous y amène. Ce matin, chez l’ami garagiste, il était question de pompe hydraulique C5 à trouver d’occase dans une casse, moyennant quoi soit je pourrai rouler encore un peu avec la vieille bagnole, soit – c’était son idée : « la mettre sur le Bon Coin, et peut-être tu en tires de quoi rembourser la pompe ». Sinon, « au pire on la rend à l’épaviste ». Dans le vocabulaire des vieux romans de marine, on a les pilleurs d’épave, qui ne vaut guère mieux que naufrageur. Littré, qui connaît épave ajoute épavité. Pour lui, ce n’est pas un nom mais un adjectif : « Terme de jurisprudence. Qui est égaré et dont on ne connaît point le propriétaire. Cheval épave. Biens épaves. » Il cite cependant le grand Itinéraire de Paris à Jérusalem de Chateaubriand, où épave devient nom : « Les animaux à pied fourchu appartiennent au pacha dans les épaves ». Et curieux usage chez Du Cange (le si beau et précieux « glossaire médiéval » établi par ce grammairien de la fin du XVIIe), qui résonne tant avec notre situation politique : « Espaves sont hommes et femmes nez dehors le royaume, de si lointains lieux, que l’on ne peut en royaume avoir conoissance de leurs nativitez ». Donc elle risque de ne plus rouler, la vieille et brave C5, sinon pour le dernier remorquage. Suis allé la voir, toute raplatie des 4 roues. Ai failli faire photo, puis pas. Faudra surtout penser aux papiers et formalités. Qu’est-ce qui reste dans l’habitacle décoloré de nos voyages, utilités, urgences, nuits blanches ? Elle semblait déjà retirée comme ces vieilles personnes que je croise dans les couloirs de l’EHPAD, là où elle nous emmenait, ces derniers temps, la C5. Je n’avais jamais pensé, avant ces histoires de casse, que ce métier s’appelait épaviste. Pourquoi pas. Nous, dans le désarroi qui monte, on est bien écriviste.

(Images haut de page : la casse d’Achères, mi aperçue mi dissimulée depuis le RER.)


François Bon © Tiers Livre Éditeur, mentions légales
diffusion sous licence Creative Commons CC-BY-SA
1ère mise en ligne et dernière modification le 3 avril 2017
merci aux 1017 visiteurs qui ont consacré 1 minute au moins à cette page