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2016.12.08 | se journaler

Journal irrégulier, comme disait l’ami Darley disparu il y a bientôt un an ? Le journal se tient pourtant dans la tête en continu. Mais on est dépositaire de choses qui ne nous appartiennent pas, surtout dans le bain de l’école d’arts, où les problèmes ne sont pas enclos par les murs. Matière humaine vive, qui nous implique quoi qu’on en ait. Peut-être dans deux ans (ce sera la limite d’âge, faudra que je dégage) tout rassembler dans un livre, on verra. Caisse de résonance sensible, qui amplifie le désordre du monde et ses battements. Ça prend du physique aussi, retours nases, où on ouvre la liste des choses à faire sur l’ordi et non, plus capable. Il y a aussi cette question du support : oui, le livre est vivant, à condition de sortir de lui-même. Je ne suis pas au bout de la tâche commencée il y a six mois, rassembler et constituer ici dans Tiers Livre Éditeur les grands tenseurs du travail, et ceux que je peux reprendre à mon compte malgré les contrats signés auprès d’éditeurs qui ont d’autres chats à fouetter. C’est beaucoup d’artisanat, mais à mesure qu’on maîtrise mieux l’outil on peut se risquer à plus complexe, comme avec des Nouvelles en trois lignes de Fénéon et leur index. Fabriquer un livre je ne sais pas si l’analogie ne serait pas jouer du tambour : rien de plus simple que l’outil, une peau tendue sur du bois, rien de plus compliqué que d’en tirer justesse et élégance. Ça me fait du bien mentalement, au profond, d’acquérir lentement ces savoirs. Je voudrais l’ouvrir à d’autres écritures – encore très refroidi par les conditions bureaucrates qui sont les nôtres, mais il y a des fissures dans lesquelles on peut se glisser. Faire un livre de vie, comme Rabelais parlait de son pierres vives, ce sont hommes, c’est se glisser hors de son format conventionnel : je souffre terriblement de ne plus faire de photo, l’usage de l’appareil en mode photo exacerbe le regard, contraint à une discipline du geste, et implique passage par Lightroom qui est un fabuleux logiciel, mais au terme de quoi on a élaboré une photographie au sens strict du terme, objet cohérent avec son champ et la clôture de ce champ. La vidéo commence ailleurs dans le rapport au réel, elle est carnet de notes comme l’écriture, elle assemble des objets-temps (la photographie est aussi un découpage temps, la frontière s’amoindrit) qu’on recombine en récit et la clôture, comme pour le récit, est ce temps qui les assemble. Il y a même pas deux semaines que j’ai commencé ces L’Instant Lovecraft et ça me semble venir d’il y a très loin pourtant, un peu comme je faisais avec Proust il y a 3 ans par la contrainte sur 100 jours d’un blog quotidien : vidéo installées et shootées en moins de 20 minutes, 30 minutes max pour montage ultra-simple et upload : alors forcément, dans chaque épisode, s’inscrit une ombre ou un reflet ou une allusion à la vie quotidienne, temps et ressenti, et cela devient donc à son tour une image-journal. J’essaye de ne pas trop raisonner mes choix, plutôt de suivre les intuitions un peu plus souterraines, et ça finit par avaler les jours sans reste. Ce qui s’élaborait dans le rêve pour construire le récit vient désormais sous forme de shoot vidéo dès le rêve, et pourrait mener à d’autres écritures. Là aujourd’hui c’est dernière commission aide à l’écriture de mes 2 ans CNC, la présence continue de ces piles de dossier auprès de la table de travail va cesser, l’espace intérieur qui va se le réapproprier ne sera pas seulement reconquête de temps. Beaucoup appris, soutenu des films par la réflexion collégiale dont je n’avais pas remarqué la force a priori, fier d’avoir défendu des projets que je vois aujourd’hui avancer, remballé souvent des déceptions à d’autres projets que j’aurais voulu qu’on soutienne et pas obtenu la validation collective. Et probablement que cette place dans ma vie, depuis cet étrange observatoire, à la jeune création cinématographique, ou tout simplement à la création en cours (vu souvent devant moi en audition des réalisateurs de mon âge, et les projets méritaient aide même si les priorités restaient sur premiers films), m’a plutôt renforcé dans l’outil vidéo à diffusion web, comme si la mutation numérique amorcée d’abord par la photo et la musique, qui a rejoint le livre brutalement depuis 5 ans, commençait juste à battre aux pieds de la dernière forteresse et pas sûr du tout qu’ils soient prêts à la bascule – en tout cas rôle ambigu du CNC, comme ces barrages de sable qu’enfant on faisait contre la marée haute. Photo : vieux centre de Providence, été 2015, étrangeté qu’avec Lovecraft je vive en presque permanence dans des lieux et temps dont je sois séparé, mais en partie archivés dans la tête, le corps et l’ordi – un schéma un peu général en somme.


François Bon © Tiers Livre Éditeur, mentions légales
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1ère mise en ligne et dernière modification le 8 décembre 2016
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