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2016.11.03 | mon copain voyageur

une autre date au hasard :
2010.01.06 | Québec sous glaces

Il aime se dire non pas « écrivain voyageur » mais « voyageur écrivain ».

Ça suffira à pas mal d’entre vous pour le reconnaître. Pour les autres, eh ben... ce n’est pas très grave !

Il a vu que je partais faire cette semaine au Japon, où je suis heureux de mener aussi quelques ateliers. Il me demande les dates, et les villes, et bien sûr je lui réponds – est-ce que notre punition collective ce « n’est pas plutôt l’indifférence réciproque ? En plus il ne me demande rien d’autre, dans son petit message, juste les dates, les villes.

Et le lendemain matin je trouve un nouveau message :

« A Sendai je connaissais un type, mais j’ai perdu son adresse, X... je crois. Il est (ou était, ça fait quelque temps que j’ai plus de nouvelles) prof là-bas. Très sympa, il m’avait fait loger chez lui et un peu baladé dans le coin quand j’y étais (en 2008). C... doit avoir son mail, je ne le trouve plus. Tu peux le contacter de ma part si tu veux. Sans doute pourra-t-il t’emmener du côté de Fukushima. Sapporo, pas un souvenir ébloui, ville froide en damier, mais on ne voit jamais les mêmes chose d’un voyage à l’autre, alors, d’un bonhomme à l’autre... »

Et moi, je lui dis ça :

« Marrant comme en 1 simple mail de 5 lignes on voit la différence entre le voyageur et l’autre : rien que je craigne plus comme loger chez les gens et me faire balader par eux, rien qui me soit plus impossible que contacter qqun à distance. Par contre, capacité infinie à se taire dans un coin et regarder un carrefour ! Mais à Sendai, ½ journée libre, ils m’avaient promis un stagiaire de l’institut pour aller voir île touristique et au lieu de ça on ira voir les installations portuaires. Sapporo verrai bien, si les damiers sont face Sibérie ça fera un peu ambiance [son nom] quand même ! Je dois faire un atelier d’écriture avec groupe tous niveaux ça devrait permettre quand même radiographie. »

Je crois que j’assume encore cette réponse, quoique là ce billet dans un TGV du soir, quand celle-ci était d’un TGV du matin. Sa réponse à ma réponse :

« Ah mais faut pas croire, en voyage, je suis moi aussi plutôt contemplatif, carrefour immobile ou autre. Ma planter dans un parc, un café, et y rester, regarder les gens vivre leur vie, les bagnoles qui filent. Avec ..., on voyageait comme ça en Russie. On cherchait des salons de thé ou autres (bistrots, cafés, connaissent pas vraiment à Vladivostok), des bancs publics, et on y restait. Au Japon cette année-là c’est C...qui m’avait parlé de ce X à Sendaï, et je l’avais contacté : un point de chute de temps en temps, ça faisait pas de mal. Il nous avait mené, je me souviens, dans de super micro-restaus (huit places maxi) introuvables, dissimulés, connus des seuls habitants du coin, et excellents. Plus trop eu de nouvelles depuis d’ailleurs, sais pas s’il y est encore. L’île touristique en question, c’est sans doute l’ensemble d’îlots de Matsushima. Très joli en effet, surtout si on les surplombe vue d’ensemble. Tu sais, c’est l’endroit où on dit que Bashô, lorsqu’il y est arrivé, a tellement été subjugué par la beauté du site qu’il n’a pu composer, comme haïku, que le célèbre : « Matsushima / Matsushima, ah ! / Matsushima ! »

J’ai la tête un peu vide, dans les trains, en ce moment. Je mets mon casque, je laisse iTunes, je regarde mon Facebook. Trop dense la journée d’hier avec cet atelier fou à Cergy (et le pépin aujourd’hui : personnes qui se sont glissées dans l’amphi sans autorisation, et a piqué des adresses d’élèves dans mon cahier de présence, on va être obligé de faire le flic pour virer les tarés). Ce soir, après ce bel accueil festival Ritournelles, sur un thème – rôle de l’archive dans notre travail, notamment dans contexte numérique – où il aurait fallu aller bien plus dans le détail probablement, vide aussi, et, en faisant le ménage dans la boîte de réception mail (les trucs en retard de chez retard qui pourtant devront attendre demain), je retombe sur ces 2 mails du voyageur écrivain.

Indice si vous ne l’avez pas reconnu, ben lisez un de ses livres !

Quoi en faire, classer, archiver, et où dans les grandes caves de mon Outlook, ce qui renvoie à la rencontre de Bordeaux : fini l’archivage des correspondances entre collègues. C’est ce flux et cette gratuité qui nous sont légers – plutôt de l’oral, dans notre nouvelle socialité à distance.

Et si finalement là aussi c’était le site, le meilleur compagnon pour l’échange... Ce midi, salade au soleil avec Emmanuelle Pagano, Emmanuelle Pireyre, et mon cher grand Spit (Jean-Michel Espitallier...) : c’est pas le même genre d’échange exactement ? Sais pas si ça veut dire quelque chose, dans le déni majeur que cette société impose à nos boulots faits de lenteur, de tâtonnements, d’une masse énorme d’artisanat derrière les intuitions fragiles (ce qu’Emmanuelle Pagano racontait de ce lac ayant noyé un paysage redécouvert dans une photo de famille juste avant sa naissance).

Sais pas ce que je ferai à Sendai et Sapporo, même si le temps Japon, entre lectures et ateliers va être assez serré, c’est pas spécialement tournée touristique – mais sûr qu’à certain moment j’irai m’asseoir fixement sur un banc et que je penserai à ces messages, au copain (qui dit aussi, en fin du second message, qu’il est toujours dans sa lecture chronologique intégrale de la Comédie humaine, et qu’il estime n’en avoir plus que pour deux mois : au moins, pour ce voyage-là, est-on à égalité).

Image haut de page : plan de Sapporo.


François Bon © Tiers Livre Éditeur, mentions légales
1ère mise en ligne et dernière modification le 3 novembre 2016
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