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2016.07.11 | sauf la chemise à fleurs

Cette année a été rude comme peu d’autre, même pas rude : usante, sans perspective, peineuse. Peut-être pour ça que l’enfoncement Internet servait d’antidote : dans les vidéos (à l’instant, celle sur Balzac) et dans ce qui s’écrit ici sur le site ça va bien. Jamais mégoté sur le boulot, les 2 jours école toujours faits avec curiosité, appétence ou plaisir, intensité – sinon un contentieux pour 2 élèves éjectées qui n’arrive pas à passer et va modifier en profondeur mon rapport à ce que là-bas je fais. Ça dessille sur la nature de certains êtres. Et pas à me plaindre sur invitations, voyages : le carnet commence aussi à se remplir pour l’an prochain, mais c’est quand même tout ça dans un contexte de lame de fond : marché du livre stable mais recomposition intérieure de plus en plus accentuée, migration profonde aussi des usages numériques qui rend aussi excitantes les perspectives de littérature hors livre (la perf, la vidéo, le terrain, l’atelier d’écriture) que l’impression d’être face à un mur dans les contraintes ou le silence de l’ancien monde – et que c’est pas facile d’assurer la transition. Alors j’avais ma solution : ici planté devant l’ordi, et avancer avec les mains. Pas regarder la cuisine qui se délite, les trucs en panne, la voiture qui grince et tousse, tout ça il n’est pas temps, les échéances sont toujours aussi brutales de mois en mois. Alors la rançon ça a été l’herbe poussée à plus d’un mètre, finalement l’achat d’une débroussailleuse, mais on évite de demander aux voisins ce qu’ils en pensent. Pourtant on s’entend bien avec le voisin d’en face, un gars du Val-de-Marne, passionné de Daeninckx même, et ouvert. Lundi, en partant à l’enterrement, rien trouvé de mieux que de reculer à donf’ dans le portail encore fermé. Pu extraire la voiture par l’autre demi-portail, mais hier matin il a bien fallu tenter de décoincer le petit viraillon qui s’enfonce par terre (ça a un nom ?). Donc je tapais dessus au marteau, et en faisant levier avec un manche de pioche j’ai pu le libérer. Alors il est venu me rejoindre, le copain d’en face, puis est allé chercher son propre merlin, et il a le coup de main bien mieux que je peux, on a tout remis en ordre. C’est là qu’il m’a sorti ça : « J’ai un oncle exactement comme toi, et même en plus les chemises à fleurs ». J’ai pas pris ça mal, j’ai compris que c’était gentil, mais que ça me posait quand même un peu à côté de la vie. Ça me turlupine depuis. Je suis pourtant pas paresseux : j’entretiens pas mon jardin, je suis pas doué pour les réparations d’intérieur et j’ai pas de sous pour changer de voiture, mais je viens de lancer 10 bouquins en Print On Demand et ça fait un paquet de paquets d’heures, et l’apprentissage d’un savoir qui à 4 mois de distance m’était étranger, même si tous les autres apprentissages, livre numérique surtout – même si ça tire la gueule, le commerce du livre numérique – c’est peut-être maintenant que ça va se révéler utile. Ce midi, en train de recorriger encore des coquilles du Balzac (et renvoyé pour une 3ème mise à jour, fabuleux outil, interruption de vente d’une dizaine d’heures pendant la vérification des nouveaux fichiers), se dire que le plaisir où j’étais c’était cette sensation d’indépendance. For the happy few, certainement. Mais au moins avoir les chemins de sa folie, sans rien demander à personne. Par exemple, cet ensemble Peur retrouvé dans l’ordi il y a quelques semaines, tout surpris de trouver un livre tout écrit, avoir fini par se souvenir que vers la fin 2010 je l’avais proposé à Verdier et que même pas eu de réponse. J’avais fini par intérioriser qu’où la littérature compte le plus pour moi, dans le risque, dans le délire des formes, dans la sueur sur scène aussi, ça ne pouvait pas rencontrer l’édition. Ben si, à condition de le faire soi-même. Là on prépare le départ pour les 3 jours de Ecrivains en bord de mer, je sais pas si là-bas je vais pas essayer d’en trouver une, de chemise à fleurs, pour montrer au voisin d’en face qu’on baisse pas la tête, qu’on continue de pousser les murs. Images ci-dessus : ce matin, Tours, musée de la Typographie (fondé par M Muriel Méchin), une « presse à copier » de notaire (19ème siècle) et sa bouteille d’encre communicative.


François Bon © Tiers Livre Éditeur, mentions légales
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1ère mise en ligne et dernière modification le 11 juillet 2016
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