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2016.05.28 | ne plus faire de photos ou si quand même

Techniquement, il n’y aurait aucun problème : quand je shoote en vidéo, mon appareil est réglé comme je le règlerais pour la photo fixe, et il y aurait juste à pousser le déclencheur avant au lieu du bouton arrière.

Seulement, une fois de plus, je ne l’ai pas fait. J’avais aussi tenté autre chose : avoir le petit G7X compact dans la poche, et faire une photo fixe avec lui (même capacité RAW) chaque fois que je ferais un plan vidéo, et pas fait non plus.

Pourtant, la photo fixe me manque terriblement. Il y a une joie à la préparer qui n’est pas la même que celle de la vidéo : une position corporelle, d’attente et déclenchement, alors que ce qu’on prépare en amont de la vidéo, c’est sa propre tension pendant le temps du plan, et l’imprévu qui peut s’y manifester.

Pour ça que suis fasciné par l’intuition de Vilém Flusser, qui a consacré 2 chapitres distincts de Gestes au geste de photographier et au geste de filmer (comme il a aussi le geste de chercher et le geste d’écrire.

Le paradoxe serait que la prise de vue aussi est la même. Bien sûr, souvent je filme en étant moi-même en mouvement, mais que ce soit filmé en fixe ou en mouvement, le cadre de départ est mentalement construit de la même façon. Par contre, si j’effectue (image en haut de page) une copie écran à partir d’une prise vidéo et la traite en tant qu’image fixe, bien sûr ce n’est pas la même chose.

Dans la copie-écran que j’installe ci-dessus, le clignotement des lumières fait organiquement partie de l’image fixe. Et la qualité d’éditorialisation possible depuis la copie-écran n’a rien à voir avec le caractère flottant de l’image que décrit Bailly quand il reprend les premiers textes de Talbot dans L’instant et son ombre.

Sans compter que je sais reconnaître, y compris chez mes proches, ce qui danse dans une photographie – moi qui n’ai jamais su faire danser une image. Autre paradoxe de la mutation technologique dont chacun de nous participe : l’accès possible à la pratique de tous les médias (imprimer et publier un livre aussi) mais que ça ne confère pas qu’on soit funambule sinon dans un seul de ces usages, et qu’on ne choisisse pas.

Qu’est-ce que j’en ferais, des photos que j’ai pas faites ? Lorsque j’ai à me rémémorer un lieu ou une date, depuis fin 2002, j’ouvre mon Lightroom et je redécouvre les 10, 20 ou 100 photos numériques que j’en ai archivé. Et parfaitement conscient que la galerie de ces images, publiées dans le site ou censée être représentatives de la date et du lieu, sont une collection bien plus limitée.

Mais une collection quand même. Dans la série des ronds-points que je me prépare à reprendre, la vidéo c’était une lecture, et l’inventaire du lieu une collection souvent dépassant la vingtaine de clichés. Quelle ergonomie web pour la lecture, alors ? La vidéo pourrait être considérée comme le même geste éditorial, mais dans une enclosure précise de temps linéaire, procédant du même but : la constitution d’un récit à partir de captation visuelle d’instants du réel. C’est ce que j’avais tenté de dire avant-hier en partant des stratifications éditorialisées du photographe Mériol Lehmann (qui, à ma connaissance, n’utilise pas la vidéo : se retenir pour la vidéo pour mieux s’assumer comme photographe ?).

Alors la sensation de manque, là au retour, liée à la nature même des images (ne pas avoir d’images photographiques à classer), maintenant que les vidéossont éditées et mises en ligne, ou à la nature précise du temps que j’aurais passé à affiner sur Lightroom ces images, et en publier quelques-uns ici sur le site ? Cette rubrique photo du site, amorcée en 2005, et que je n’arrive pllus à nourrir, malgré les récents voyages, est-ce que je devrais définitivement la clore et l’archiver ?

Je continue de penser qu’un des grands enjeux en ce moment c’est de cesser de considérer qu’il y ait une différence de nature entre photographie fixe et vidéo, que le concept de temps (jamais instantané) est dans les deux cas organiquement associé et constitutif de l’image même (on a le droit d’ailleurs de penser le contraire). Pourtant, la mémoire que j’ai des lieux traversés n’est pas en mouvement, mais faite d’une suite d’images fixes : est-ce seulement générationnel ? À la limite, ce serait ça le paradoxe, tiens : il y aurait bien là le thème d’une possible vidéo, à faire ici sur table, pour en parler.

 


 

 


François Bon © Tiers Livre Éditeur, mentions légales
1ère mise en ligne et dernière modification le 28 mai 2016
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