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2016.05.13 | j’ai gagné un stylo-bille Facebook

C’est devenu bien rare que j’aie un stylo sur moi. Parfois j’y pense, j’en rachète un au supermarché et je le mets dans mon sac. Mais ça sert à quoi. J’en ai quand même un sur mon bureau, généralement je récupère ceux qu’ils mettent dans les hôtels, ça me sert pour les enveloppes à mettre à la Poste (l’adresse qu’il faut écrire dessus). Mais là, pour les trois jours de jury, j’ai eu beau fouiller je n’avais rien dans le fond du sac et c’était nécessaire, on est trois à gérer les dossiers mais il faut annoter, évaluer. Donc je suis allé à l’administration, j’ai demandé qui m’offrirait un stylo pour la journée, et V.G. m’a fait un signe depuis le bout de sa cloison d’open space, m’a remis un stylo-bille, précisant qu’il venait de le trouver dans l’amphi où nos candidats commencent la journée par un bref moment d’expression écrite, et qu’il avait été oublié par terre. C’est seulement un bon moment plus tard, recopiant les formules administratives, que j’ai découvert que c’était un stylo Facebook. Une collègue un peu plus tard s’est moquée : – Ah, un stylo Facebook, ça ne m’étonne pas de toi. Pourtant je n’avais pas fait exprès. Pour cette expression écrite, on envoie nos suggestions, mais ensuite on n’est pas tenu au courant. Les années précédentes, c’était plutôt une citation d’artiste ou d’écrivain. On ne juge pas, on évalue encore moins, mais c’est souvent une très riche indication. Nombreux les dyslexiques en école d’art, et leur approche est précieuse. Et puis souvent, une prise d’écriture originale, un trait de syntaxe qui passe et aide à faire franchir une étape au candidat. Ou une note concernant une lecture, une inquiétude, une audace. Cette année, les sujets étaient plus funambules. Parfois, alors, dans les moments plus flottants, ou entre deux candidats, on se surprend à se demander ce qu’on y aurait répondu soi-même. Ainsi : « du noir », ou simplement « vulnérabilité » hier, En 5 jours de jury, il en faut un différent pour chaque demi-journée, soit 10 en tout. Aujourd’hui, c’était « où je migre » pour le matin, « fuir » pour l’après-midi. Hier, me suis beaucoup interrogé sur ce que j’aurais dit pour « du noir », aujourd’hui pour « fuir ». Des plaques éparses de Baudelaire en ce cas qui remontent, flottantes, mais lourdes de son rythme même dans cet arrachement mouvant de syllabes. (Interruption : le wagon envahi par nuée de contrôleurs SNCF, et la jeune dame qui me dit : – Vous avez sauté. Pourtant je l’ai payé 5€95, mon billet, 11€90 l’aller-retour par semaine, non remboursé. Je lui dis : – Sauter ? Vous m’avez vu ? Je suis trop lourd, un peu vieux aussi. Là quand même elle rigole. Elle réfléchit, puis me dit, d’un air lourd et grave de reproche : – Alors, si vous avez composté, il n’y a pas d’encre. Donc on en revient à l’histoire du stylo-bille Facebook : – Dites- le à la gare de Cergy, alors, ai-je rétorqué, mais vraiment c’était à moi de m’en justifier ? Je vous jure qu’on est fatigué, des fois.) Où j’en étais : des choses belles trouvées dans ces micro-disserts’, parfois, et d’un autre sujet qui s’était révélé complètement stérile : « trente pour cent ». L’une a répondu : « trente pour cent, mais de quoi ? » et s’en est tenu là. Je ne sais vraiment pas ce que j’aurais répondu moi-même. Heureusement, ce n’est pas ça qui nous détermine. Donc, là, dans le train retour, pour ce billet de journal, un je vous pose la question en commentaires : à ces 5 sujets de dissert’, dont le « trente pour cent », vous répondez quoi. Deux, le stylo Facebook trouvé par terre dans l’amphi, alors précisément que de toute la journée je n’ai même pas utilisé Facebook, de quoi est-il le signe (et si le propriétaire se reconnaît, qu’il se signale, je le lui renvoie avec un cadeau). Trois : de quoi étais-je vraiment coupable aux yeux de la jeune contrôleuse du RER, et de quoi cette accusation transportable, qui change son objet à mesure qu’elle se révèle vide, pour se maintenir comme accusation , est-elle le signe ? On dirait ces récits de l’absurde en contexte totalitaire. Un conflit se maintient actuellement non réglé dans l’école, quant à des redoublements d’élèves qui ne méritent pas de redoubler : tenir ferme, pas de compromission, c’est ce qu’elle cherchait à me dire, la jeune contrôleuse zélée. On trouve toujours quelque chose à réviser en soi-même, pour ne pas se laisser glisser vers les 30% (du juste, du laisse-faire et basta ?).


François Bon © Tiers Livre Éditeur, mentions légales
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1ère mise en ligne et dernière modification le 13 mai 2016
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