< Tiers Livre, le journal images : 2015.12.22 | 3 jours entre 4 murs

2015.12.22 | 3 jours entre 4 murs

J’ai bien du mal à régler les curseurs : la semaine dernière, beaucoup de train et trimbale, des interventions qui me laissaient vidé ensuite, c’est la petite caméra main qui a enregistré le journal, 4 fois de suite. Par contre, depuis, trois jours ici à ne pas sortir des 4 murs et ils ne sont pas larges. Reconditionné la pièce pour en tirer un peu plus d’espace. Décidé de virer cette table chargée de livres qui s’empilent et restent des mois, dont je ne sais pas me débarrasser mais qui n’ont pas statut suffisant pour trouver place dans la bibliothèque fixe. Du coup tout l’empilement est par terre depuis plus de deux jours, pas encore évacué la table, pas attaqué non plus le vidage du petit bac plastique avec le courrier administratif, posé sur l’imprimante en attendant mieux. Le problème que j’ai, c’est la difficulté à me forcer de faire ce qui n’est pas central, or ce qui est central nécessite de l’attente, de la lecture, du vide. J’ai reçu 2 livres de Flusser qui me manquaient, quelques services de presse de copains aussi, mais dans ce besoin de se réancrer il y avait aussi retrouver cette espèce d’inertie, lourdeur, épaisseur. Est-ce que j’ai fait quelque chose de mes heures ici devant écran ? Ça ne correspond pas à des écritures, ni à des choses cochées dans celles en retard, et pas encore l’élan que je voudrais vers des choses neuves. Cette histoire de vidéo prend de la place : je dois progresser techniquement, sinon ça m’énerve trop. Ça pourrait devenir de la fiction, il s’en faudrait de peu, quelque part ce serait ma réponse à ces textes fragmentaires et dérangeants qui m’ont happé ces derniers temps, le Anvers de Bolaño ou le Centurie de Manganelli. Zoné retour vers Philip K Dick aussi. Mais cet élan n’est pas là encore. En partie parce qu’il n’a pas de destination. Le chemin vers un livre me paraît aussi balisé qu’un parc public, l’écriture respire ailleurs. Elle respire là, dans le site, par exemple, elle respire aussi dans ces improvisations qui font que je continue ce journal, mais ce monologue, comme là tout de suite, qui produit une par une ses figures à mesure qu’il avance, est-ce qu’il ne pourrait pas lui aussi passer dans l’espace vidéo ? Je tourne autour des appareils qui permettraient une sorte de live stream en permanence au-dessus de ma table. C’est peut-être ça : pas d’autre destination que l’objet en soi, ou le média en soi (l’inscription sur l’iPad mini et ce MacBook qui sont mon rapport à la réalité hors de ce que je peux toucher avec la main, dans ces 4 murs où je suis depuis 3 jours sans sortir), mais le livre n’arrive plus à surgir intérieurement comme destination. Reste ce conflit permanent entre le fragmentaire et le construit, comment seuls les objets massifs esthétiquement m’attirent (y compris dans la recomposition de cette partie de bibliothèque qui est celle voisinant au plus près la table), et comment je sais que ça passe par ces copeaux aiguisés du bref, comme d’avoir pénétré enfin vraiment, ces derniers mois, dans les livres d’Édouard Levé. Le blog (ce site, pris dans son entier) reste bien une destination, mais avec la vidéo je le perçois plus comme objet de flux, non pas de sédiment, alors qu’il est structuré pour le sédiment. C’est là que j’en suis. Une grande partie de la journée d’hier à revenir dans Lovecraft par l’intérieur, reprendre à pied (les pages s’enfoncent sur l’écran, n’y défilent pas, on marche devant soi infiniment vers l’écran pour marcher d’une page l’autre) la traduction si difficultueuse cet été, le Mountains of madness, pour la parution Points Seuil : la chance d’un correcteur comme on en croise rarement, alors affiner comme on fait d’une musique en studio. En suis aux deux tiers, là au lieu du journal je devrais y être. Les daily vloggers anglophones que je suis maintiennent leur journal filmé même quand leur quotidien ne donne pas d’histoire à raconter. Je n’en suis pas là, et je n’ai pas de chien à promener. Mais ces 4 murs sont potentiellement une histoire en chaque livre et objet. Ça me manque beaucoup plus que je n’aurais cru de ne plus faire de photos – n’ai jamais pourtant été vrai photographe. Mais l’approche mentale selon que le même appareil est réglé en fixe ou vidéo, c’est quasi antinomique (avoir toujours les 2 appareils prêts : le gros autour du cou pour le fixe, le petit à la main pour le film ? – ou m’acheter un 2ème G7X : un dans chaque main, pour le fixe et l’animé ?). Je regrette, lorsque cet été on est passé à North Truro, d’avoir fait des photos et pas de vidéo : la vidéo me permet d’écrire par le média lui-même, et je n’ai jamais fait le billet de blog en attente depuis 6 mois sur cette visite à North Truro, entre Thoreau et Hopper. Pour les images de mes billets (là tout de suite, je ne sais pas du tout celle que je vais placer en haut de page : North Truro ?), mes réserves s’assèchent. De la semaine dernière, je n’ai rapporté aucune photo fixe, sinon les petits éclats envoyés sur Instagram – qui ont encore un autre statut –, et je ne vais quand même pas aller piocher dans les captures écran du vidéo-journal ? Beaucoup de trop petites choses qui encombrent la tête, parce que le basculement ne s’est pas initié. On bigle vers les livres maudits, les livres à secret, ou les livres démesurés (les Éléments de Marmontel par exemple). On est en attente de démesuré, quand bien même ça passerait par aussi bref qu’une séquence de 5 lignes, mais avec abîme. Il faudrait qu’on puisse rester entre les 4 murs non pas 3 jours mais 3 mois, peut-être on n’arrive pas à trouver la bonne clé uniquement pour être séparé plus radicalement des tâches contraintes.

LE CARNET DU SITE
 nouvelle vidéo : sur Pierre Bergounioux, ou le vidéo-journal semaine dernière
 lu sur le web : ce voyage par le Transsibérien
 nouveau ou actualisé sur Tiers Livre : outils du roman, ne pas mentionner l’oiseau
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 photo ci-dessus (finalement) : éternellement Providence.

François Bon © Tiers Livre Éditeur, mentions légales
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1ère mise en ligne et dernière modification le 22 décembre 2015
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