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journal | ce qui ne vous appartient pas

Un journal, c’est un poste d’observation – non pas de soi vers le dehors, plutôt ce que le dehors modifie à soi-même. Pour ça que l’exercice mène droit aux rouages les plus précis du surgissement d’écriture, les met en risque, les expose, avant qu’on reparte sur les chemins des autres travaux. Pour ça probablement que je continuerai ce journal, avec ses respirations inégales, parce que c’est une digression du soir qui n’aurait pas sa place dans les autres rubriques du site, même si tout cela est bien flou (combien de fois écrire ici, directement en ligne comme d’habitude, dans la partie journal et puis tout copier/coller pour un billet de la partie principale du site). Au point que ces jours-ci le besoin d’écrire ici a surgi indépendamment de tout contenu. Ou encore, plus exactement, ce qui était donné à observer de et sur soi-même résultait d’actions dont je n’avais pas légitimité à rendre compte ici. Pourtant, lors des auditions DNSEP de Marseille, quand on entre sans rien savoir dans la salle où attend un ou une candidate, l’écoute, l’échange, le mouvement de soi vers ce que déplacent les pièces proposées, quel exercice. Ça aurait pu être un livre, le compte rendu heure par heure de toute la semaine. Dimanche et lundi rien à dire, rattrapage, de fatigue, de courriers, de papiers, et se remettre à jour dans le chantier 1925. Aujourd’hui, c’était l’exercice inverse, même en partageant le plat du jour ce midi : assister sans s’en mêler aux déambulations d’un jury auprès d’élèves avec qui toute l’année on a tant partagé. Et puis les rendez-vous, avec ordi au milieu. On voudrait pour Internet que ce soit ça, le partage, puisque pour lecteurs on n’imagine que les meilleurs, les proches, les confiants, que c’est ce qu’on cherche dans les sites et blogs qu’on lit. Alors on pourrait tout dire, voire être soi-même une sorte de traversée de vie retransmise. Au point où j’en suis de l’expérience web, j’y serais quasi prêt. À Marseille j’ai triché : j’envoyais sur Instagram des images prises à l’iPhone, mais des fenêtres, pas des salles. Et puis, au retour, il y a la façon dont on s’épluche soi – retrouver le fragile, retrouver la lenteur qui est celle du travail possible. Alors une semaine passe et on n’a pas avancé le journal. Peut-être qu’on est son propre journal, dans l’instant même où on traverse ces passes, dans l’examen de sa propre curiosité, de son propre trouble. On pourrait aussi écrire ça pour soi seulement, mais en quoi alors on serait dans cet échange qui fait le web parce qu’il est construction de notre auto-réflexivité commune dans le chaos du monde ? Il faut se raccrocher aux gestes fixes, et dans ces gestes qui restent, qui ne mettent pas en cause quiconque d’autre que vous, se forcer à penser, à la même photo systématiquement faite du RER au même moment et au même lieu, chaque semaine, toutes les semaines, qu’elle suffit à retenir un peu de ça.


François Bon © Tiers Livre Éditeur, mentions légales
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1ère mise en ligne et dernière modification le 23 juin 2015
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