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journal | Vieille Création Debout

En revenant de Cergy, si par chance le RER n’a pas eu trois interruptions de parcours, ou tout simplement s’il y a eu un RER, on a toujours ce temps d’attente à la bifurcation de Nanterre, les autres branches étant apparemment prioritaires dans la régulation, c’est assez obscur sauf qu’on est là et qu’on attend. J’avais donc le loisir de faire cette photo, exacte jonction de la ville non discontinue et de la ville discontinue, avec ces rails sortant de la terre. J’avais mis 400 ISO et fermé la focale à 11, pour une fois c’est net même à travers la vitre (qu’est-ce que ça change, de voir la ville à travers une vitre ?) et c’est seulement en important les photos que je découvre ce tag pense comme un impératif, mais peut-être on lit mal ? En tout cas je ne l’avais pas vu consciemment à ce moment-là mais c’est probablement lui qui m’a poussé à sortir l’appareil du sac. Après une pleine journée à Cergy, penser je ne suis plus trop en état, ni forcément le lendemain. Mais en ce moment ce serait plutôt difficile en continu. Il faut que ça roule vers l’avant, pour penser et c’est ce qui manque. Je suis les progrès des Assises de la Jeune Création, c’est bien, moi je serais plutôt la Vieille Création (encore) Debout. Les gens s’étonnent qu’à 60 balais et 30 ans de bouquins vous ayez encore besoin de gagner votre croûte et pas constaté d’inflexion pour les mois qui viennent, ça continue de se bousiller de tous les côtés et l’agenda pour l’an prochain ça indiquerait plutôt impasse. C’est peut-être pour ça aussi que ce coin de Nanterre, devant le RER en attente indéfinie, m’avait troublé. Encore j’ai du vieux cuir, ça doit être bien plus dur pour des tas de collègues auteurs plus jeunes. Penser ici j’y arrive, à ma manière. Je navigue pas mal encore dans les bouquins, même si c’est des temps séquentiels brefs. Pour écrire il n’y a pas forcément besoin de penser, en tout cas ça ne part pas de là. Quand j’attaque les notes de Lovecraft pour la journée précise où on est, et quand en même temps j’ouvre le journal d’il y a 90 ans, je ne sais pas du tout ce qui va en résulter. Et c’est l’arbitraire qui en résulte, qui fonde que ce soit écriture. Reste à savoir quel livre ou objet ça dessine au bout : la mise en ligne côté web est de plus en plus hypertexte, et inclut des éléments graphiques ou iconographiques. Est-ce que les 365 fragments qui en résulteront, chacun séparés les uns des autres, pourraient constituer une approche de Lovecraft écrivant, comme le fait la biographie monolithe et continue de Joshi (que j’aimerais bien traduire, d’ailleurs). Et traduire des bribes d’articles de journaux, est-ce que c’est écrire. Pourtant, depuis que ce truc est lancé, c’est comme s’il me vidait d’une autre écriture, sinon ce qui s’amorce ici, et qui y est quand même relié. Le livre par éclats est un livre parce qu’il s’écrit contre toi. Doc, lectures, trads, reprises, t’y passes combien d’heures sur ta chaise quand t’es là. Et puis, de quoi je parle en parlant de Lovecraft sinon du fait qu’un auteur ça peut crever avant d’avoir publié un livre. Ce qui n’est pas mon cas, mais dans le bruit de l’industrie culturelle à rotation de plus en plus light et de plus en plus rapide, on peut pas dire que ça ait servi à grand-chose. En tout cas ça ne donne pas les moyens d’en vivre. C’est peut-être lié aussi à ce truc d’avoir été braqué l’autre jour, toujours pas refait mes papiers, ça me paraît si con le dehors. Donc s’en fiche et se concentrer sur ce qui, à toi, te semble nécessaire (et que ça passe par la photo aussi). Le problème, avec cette injonction pense, c’est justement qu’un gros boulot comme avec Lovecraft ça évite de penser. Pour juillet la chambre est trouvée, sous-location à une étudiante de là-bas, Angell Street, donc la rue même où est né Lovecraft et où il a vécu la moitié de sa vie, et la rue transversale ça va juste à sa tombe, de l’autre côté c’est marcher dans les rues où il faisait surgir ses bizarreries, c’est tout ça que je veux photographier de nuit aussi. Travailler à ça, c’est comme renforcer aussi les murs. Savoir ce qu’on veut voir, lire, toucher, marcher. Pas savoir comment on va revenir. Pense ? Si je pense, c’est tout brûlé autour. Je fais le job, les papiers, les dossiers, les projets qui se cassent la gueule ou les fins de non-recevoir c’est la boxe habituelle. Les 2 jours de Cergy, avec ce truc absurde que quand je vais bosser ça couvre juste les frais, donc c’est bénévole, ça regonfle bien dans cette intersection : la jeune création au moins je vois comment ça bosse, se décarcasse et invente. Ils font des trucs incroyables, auxquels on ne penserait jamais : c’est ça qui regonfle. On ne le leur vole pas, de toute façon on ne saurait pas, c’est juste la fragilité qu’on réapprend pour soi. À 60 balais tu restes dans ce que tu sais, c’est juste qu’on y va plus lourd. Du moins c’est que je pensais en revenant, face à ce pense. Ici je préfère éviter. Je suis loin de moi. Ce serait mieux si on était moins dans l’impasse, mais ça n’en prend pas le chemin. Tu palpes les modes éventuels de sortie : mais non, tu ne trouves que ça, t’enterrer plus, là dans tes livres et dans ce machin monstre que tu nommes dans ton disque dur lovecraft_machine. Si on peut s’obstiner encore, nous la Vieille Création (encore) Debout, c’est parce qu’on ne pense pas, on fait. Par exemple, à ce moment-là, cette photo. Par exemple, tous les matins depuis le 1er janvier, ce #1925 qui fait 260 page à mi mai, donc voudrait un bouquin de 700 pages au bout. Mais pour le reste, pense, non, je préfère éviter vraiment. Après tout, ce n’est peut-être même pas écrit pense.

 


François Bon © Tiers Livre Éditeur, mentions légales
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1ère mise en ligne et dernière modification le 9 mai 2015
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