< Tiers Livre, le journal images : 2015.01.22 | « the web does not allow the emergence of literary works, because »

2015.01.22 | « the web does not allow the emergence of literary works, because »

une autre date au hasard :
2022.04.11 | Gasolinera

« Le web ne permet pas l’émergence d’un travail littéraire, parce que... » Thèse de doctorat qu’un rusé arrangeur de destin pantoufle m’envoie, et sous cet énoncé dans le pitch en anglais à la première page, il passe le tiers de son pavé à recopier le mandarin pantoufleur ancien qui lui sert de caution et dirige sa thèse, ledit mandarin n’ayant garde d’aller contester une thèse dont chaque page produit un ou deux ou trois recopiages de son plus récent ouvrage en 2004 (le web n’a pas changé depuis lors, ces gens voient tout d’avance – il n’y a qu’à regarder la modernité de son site d’ailleurs) – son protégé exercera avec doctorat, aura droit d’enseigner etc, tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes, grande peine qu’un ami proche se soit fait piéger dans le jury et ait cautionné ce combat d’arrière-garde.... Je comprends mieux ce qui s’est passé le mois dernier quand D. V., l’ami en question, a pris la mouche d’un débat qui s’était lancé sur ma page Facebook, comme si souvent et si librement (et alors, ça gêne quelqu’un, qu’on cause ?), sous prétexte que n’étant pas sur Facebook lui-même nous n’avions pas le droit d’évoquer une belle conférence sur le contemporain qu’il venait de donner chez Verdier à Lagrasse et que Verdier, plutôt que d’assumer le débat et comme si cette conférence n’était pas 10 000 fois plus intelligente que cette thèse reçue là, en janvier 2015 alors que soutenue en février 2014 – belle mesure du courage du monsieur, ou de sa conscience qu’à ce genre de jeu pas clair y aurait forcément des chapeaux à manger un de ces jours –, Verdier a donc purement et simplement supprimé sa vidéo. C’est quand même plus vivant et ouvert de ce côté, le nôtre, où ça cherche, partage, publie, invente. Bon, j’aurais pas dû passer 2 heures mardi soir à lire ce pavé inepte et dont personne n’entendra plus jamais parler, mais chaque fois triste constat : ça vous salit dedans, on a des envies de refermer la boutique, garder ça juste pour les happy few comme si ce n’était justement pas ça, le web et ce qu’on y a appris, ce qu’il a changé en nous : cette confiance dans l’échange, cette ouverture dans l’écoute, et que justement c’est là où s’ouvre la langue neuve. Ça m’a énervé de trouver des inexactitudes ou erreurs par paquets quasi à chaque page quand ça parle de web, au début on se dit que c’est par paresse après on vérifie bien que c’est seulement pour tordre son discours dans le bon sens. Et erreur type pensée totalitaire dès le titre : « le blog d’écrivain » comme d’autres disent « le livre », ou « l’armée », ou « l’agriculture » (Monsanto ou Petit Gibus à Saint-Cyr sur Loire même combat) – un et un seul, l’uniforme et si ça ne rentre pas dans le modèle on ne regarde pas, faux prédicat qui fiche l’ensemble en l’air mais eux ça ne les gêne pas. Approximations syllogistiques : la preuve que « Bon » n’écrit pas de la littérature sur son site, c’est que si on regarde son journal c’est un journal (« avec des photographies de zones industrielles », me concède-t-on). Plus gênant, côté Sorbonne (dans le même temps où la même université confie à Milad Doueihi une chaire d’humanités numériques, donc c’est jamais perdu mais quel courage il va lui falloir, à Milad... ceci dit tous des universitaires que je fréquente à P1/4/5 comme Gefen et les autres, ou cette intelligence l’autre jour qui circulait dans le colloque Rabelais, je suppose qu’aucun ne se serait fait piéger à un tel ramassis de poncifs), plus gênant donc l’indigence de pensée : il se trouve que parler du web littéraire c’est parler d’un objet en mouvement, d’un objet ouvert, d’un objet constituant expérience après expérience ses formes et ses contenus en lien avec l’évolution technologique de ses modes de lecture, des usages sociaux et savants ou artistes de ces lectures (plurielles), déplacement de la notion d’auteur par les collectifs et les revues en ligne, initiant précisément un salutaire secouage des vieilles formes et de la vieille crétinerie verticale. On n’appréhende pas un objet mobile avec de la pensée statique (il y en a quelques pages ici, sur site Sorbonne officiel). Ami D..., tu n’as pas été choqué par des formules comme « canonisation d’un auteur contemporain par l’université » : les saints nous regardent de bien haut, désormais. Ou comment la bibliographie, y compris sur le web (soi-disant, parce que franchement on n’a pas la même), évite soigneusement toute publication uniquement web. Bon, oublions, comme ce morne pavé sera oublié. C’est juste ça, qui crée de la peine : indépendamment du temps que ça nous fait perdre, que pour continuer on ait une fois de plus à se laver, s’alléger, trier... Dont acte, et retour aux fondamentaux : qu’est-ce que ça fait du bien de reprendre la photo rituellement faite de Nanterre depuis les matins RER, et d’oublier l’université tout entière, on la réinventera quand on aura le temps (mais avec les mobiles et les solides, pas les immobiles cireurs de pompes à leurs profs momifiés). Ce qui me peine, c’est que l’aspirant docteur se soit contraint à rédiger pendant des mois sur un objet qu’il méprise : il n’avait donc rien qu’il eût pu admirer, ou étudier pour s’agrandir ? Ç’aurait été moins souffrir, ceux que je connais qui sont en thèse, ça peut être un si beau voyage intérieur. « Le web, qui donne à tout le monde le moyen de diffuser des contenus », voilà donc, dès l’ouverture, énoncés notre immense crime et notre châtiment volontaire – un type un jour a écrit que « la poésie doit être faite par tous, non par un », tant pis de tant pis, c’est de côté là que je suis. Il a aussi écrit, le même type mort à 24 ans : « toute l’eau de la mer ne suffirait pas à laver une tache de sang intellectuelle », c’est ce dont on les plaint, celui-là, son directeur aux pompes toutes les trois pages cirées et le jury qui cautionne l’entourloupe. Puis quoi, un peu marre d’être pris pour le bouc-émissaire sous prétexte que dans la corporation des auteurs avec un H comme dans Hécrivains aucun ne sait ni se servir d’une cafetière électrique ni s’installer un site quand ici est mon plaisir, et qu’à l’inverse ceux-là se boucheraient le nez à cliquer un lien vers n’importe lequel de nos blogs... Pas envie d’être le paillasson des gens de ce cette sorte. Because, mon gars, because toujours.


François Bon © Tiers Livre Éditeur, mentions légales
diffusion sous licence Creative Commons CC-BY-SA
1ère mise en ligne et dernière modification le 22 janvier 2015
merci aux 76101 visiteurs qui ont consacré 1 minute au moins à cette page