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journal | manifeste pour une disparition de l’art

C’est à cause de ce projet intitulé sur le site Lovecraft unlimited, avec sa toute petite porte d’entrée minuscule. Ça finit par me perturber moi-même. Les éléments que j’y construis n’apparaissent pas à la surface. Dans l’outil texte qui me sert de base dans l’ordi (et lui-même une base de donnée sans fichier texte, principe de UlyssesIII), pas moyen d’installer un ordre où une construction. C’est la première fois que je suis incapable de livre parce que je pense le projet de livre comme déjà un projet de site. C’est organisé autour de l’année 1925 que Lovecraft passe seul à New York, mais il y a des choses sur sa mort, sur son enfance, sur ses objets, sur son écriture, et comme je les rajoute séparément, je sais qu’il y a plus d’articles dans la rubrique que ceux dénombrés dans le sommaire, articles qui ne pourront donc surgir que par la navigation au hasard, à l’aveugle. Pour l’instant c’est juste un début, tout embryonnaire. Or, quand je pense à comment c’est dans ma tête, c’est une organisation sur le même principe, plus large que ce qui en est écrit, et pourtant bien moins large que ce qui en sera écrit, et se révélera précisément par l’écriture. Ce matin, parmi plusieurs ajouts, deux qui avaient été ruminés longtemps, l’un procédant d’une série sur l’ensemble de ses tentatives malheureuses de travail salarié, récupération des impayés (il y avait déjà eu les blurbs), l’autre sur la journée de son mariage et la lettre qu’il envoie à sa tante pour lui en rendre compte. Ces ajouts sont donc littéralement invisibles. Bien sûr il y a d’autres approches de la navigation (puisque c’est le mot qui accomplit la fonction de ce que désignait le verbe lire) : des mots-clés par année, par lieux, par personnages (ils ont auront chacun aussi leur mini-biographie), par thèmes, ou par liens qui mènent à ces articles depuis les fictions elles-mêmes, donc en dehors du projet. N’en reste pas moins que ce que j’y ai inclus ce matin est totalement impossible à discerner depuis l’extérieur du site. Depuis que je travaille debout (au moins par alternance), l’ordi sur son pupitre, j’ai un autre rapport à l’espace de ma petite pièce (au corps, aussi : je mets mes baskets pour bosser) : je trie, je range, j’évacue. Du coup, cet aprem, dans un moment de vide (j’aime pas les après-midis), une vingtaine de minutes sur la guitare redevenue accessible, puis une histoire de réglage que je voulais voir sur l’appareil-photo, et comme je préparais mon sac pour demain, mis dedans le petit magnéto. Je suis donc totalement équipé pour produire des formes, des objets qui me sont familiers par la production des autres (vidéos, galeries sonores, ou même simplement livres ou billets de blog). Et moi, plus je travaille, moins ça se voie, j’ai pensé. Ou bien : maintenant que je suis sur ce travail, plus j’avance, plus ça m’éloigne des autres modes de réalisation – par exemple la photo ci-dessus c’est juste en allant piocher dans les images de Chicago en octobre dernier, il y a presque un an – juste une photo avec de l’inquiétude. Je serai donc arrivé au bout de mes 30 ans d’écriture à ce prodige d’avoir fait disparaître ma propre écriture ? Un site, on doit s’en occuper beaucoup, de l’intérieur. C’est avec le logiciel Coda. Des pinailleries dans les boucles et les rubriques, des affinages de classement, des mises à jour de plug-ins, et pourtant de l’extérieur, rien qui change. Ça doit tenir aussi à gamberger pas mal, évidemment, aux cours qui vont reprendre et avec quoi on va les alimenter – bizarre période de dernier vide avant reprise. Des fois ça me panique un peu. L’impression réelle qu’il suffirait, quand je suis dans l’intérieur du site, que je choisisse de n’en plus sortir, je resterais au boulot quelque part là-dedans sur des textes invisibles et personne ne s’en sera même aperçu. En même temps, quoi faire d’autre que continuer ?


François Bon © Tiers Livre Éditeur, mentions légales
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1ère mise en ligne et dernière modification le 10 septembre 2014
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