< Tiers Livre, le journal images : journal | puis dans 30 ans je serai mort

journal | puis dans 30 ans je serai mort

J’ai répondu gentiment (j’espère, parce que ce n’était pas la médiatrice en cause) et rapidement, mais quand même. Prolifèrent ces journées qui veulent savoir le futur du livre dans 10 ans, dans 20 ans. Alors on fait surenchère : « à quoi ressembleront les bibliothèques dans 30 ans ? » En gros, le futur du futur. Et ce sera dans un blog, et vous avez droit à 1200 signes. Et bien sûr, pas payé, alors que la demande émane d’une instance ayant bouffé pour ses effets de manche pas mal de millions de subventions mais passons. Donc j’ai répondu sérieusement, du pour de vrai en somme : « par principe, et je m’en suis souvent expliqué, je refuse toute projection téléologique, mode conceptuel inadapté à la complexité de l’analyse dynamique du présent ». J’ai même précisé que je répondais ainsi « en vieux simondon-adornien », ce qui est vrai aussi. J’ai quand même ajouté un bref paragraphe, parce que ça m’énervait quand même un peu. J’ai ajouté : « puis dans 30 ans je serai mort ». Ce qui est plus qu’hautement probable en tout cas. Mais ça m’est resté en travers du bec les heures à venir (surtout que la boîte mail n’est pas folichonne en propositions de boulot, mais c’est pour moi comme pour tout le monde je suppose). Notons que la médiatrice (extrêmement cordiale et prévenante, et qui a parfaitement accepté mon argument) a signalé qu’une liste de contributeurs avait été soumise à la Haute Autorité du lieu, et que la Haute Autorité avait eu la bénévolence de retenir mon nom. C’est ça que j’ai trouvé un peu trop louis-quatorzien. On retient votre nom pour une contribution gratuite, parce que ce que seront les bibliothèques dans 30 ans, ça ne mérite pas plus qu’une liste à cocher et un pitch de 1200 signes plus le nom basta. On occupe le peuple, on occupe ses subventions, on prend les autres pour de la tarte. Il y aurait à penser la complexité actuelle de la mutation de l’écrit ? Monsieur le Puissant, ça ne lui viendra pas aux pantoufles. « Seriez-vous intéressé par ce petit défi ? » Ben non. Dans 30 ans, il y a longtemps que les bulldozers auront enlevé et monsieur le Puissant, et les hautes tours confiées à sa charge (y aura bien quelques inondations supplémentaires). La photo ci-dessus n’a rien à voir – encore que : et si c’était ça leur double inquiétude, 1 que pour produire et faire circuler ce qui est notre question et notre représentation du monde, un blog de journal en ligne suffit, 2, encore plus profondément, que pour interroger et mettre en récit cette représentation du monde, la beauté d’une entrée de parking prise à la volée un soir à Chicago suffit, et puisse se passer totalement du livre ? Ce qui n’empêche pas que dans 30 ans je serai, etc. (qu’on m’enterre dans un parking).


François Bon © Tiers Livre Éditeur, mentions légales
1ère mise en ligne et dernière modification le 9 septembre 2014
merci aux 772 visiteurs qui ont consacré 1 minute au moins à cette page