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C’est une réflexion de Daniel Bourrion (lire son exceptionnel Fossile, 14 variations sur une même photographie d’enfance et ses secrets) lancée sur Twitter il y a quelques soirs, en gros : « avec la taille de ces écrans de télé qui augmente, qui augmente, où donc le lecteur lambda trouverait encore de la place pour des livres ? » Et moi j’avais répondu un truc du genre : « déjà longtemps qu’on est dans les tunnels, le lecteur lambda n’existe pas ». Ce que je défendrais même dans une discussion sérieuse, si un jour avec Daniel Bourrion on réussissait à avoir une discussion sérieuse. En même temps il m’arrive un changement imprévu : j’ai mis l’ordinateur sur un pupitre mobile au milieu de ma petite pièce, et depuis quelques soirs pour travailler je m’installe debout. Ça c’était prévu et ça fait du bien. Ce qui n’était pas prévu, c’est comment du coup se modifie mon rapport à l’espace même de ma pièce. Installé à ma table, j’avais fini par une sorte d’indifférence à tout ce qui n’était pas le plan même de la table. Les livres, valise et cartable, vieux trucs et machins s’empilaient par terre, les livres en pyramides sur les tables. Travaillant debout au milieu de la pièce, je suis en relation avec l’ensemble du volume de la pièce et mine de rien, en 3 ou 4 jours procédé à pas mal de tri, élimination, reclassements et je suis tout surpris de disposer non pas d’un plan mais d’une grotte. Corollaire : sur la table, je travaillais avec mon ordi plus une dalle 27’’ qui est comme la maison du web. Sur mon pupitre, j’ai encore l’impression que la dalle est présente mais voilà, plus de dalle. Donc en bricolant mon web ça se fait tout seul qu’il s’installe dans différents points de l’espace. En fait, comme autant de dalles imaginaires plantées dans le 3D de la pièce. Ça correspond probablement, à l’intérieur, à ces différentes fonctions hétérogènes, son, image, texte, perception du monde extérieur, communication privée, qu’on réassemble de seconde en seconde dans le flux mobile de l’écran. Et bizarrement, ces dalles imaginaires, je ne peux pas plus les imaginer collées au mur que je n’aie jamais été capable de travailler face au mur (les belles réflexions de Marguerite Duras là-dessus dans Écrire, vague souvenir aussi d’un entretien Ponge-Ristat autrefois dans Digraphe). Donc finalement pas du tout incompatibles avec les livres eux collés au mur, et qui montent jusqu’au plafond sur trois des parois (pas la quatrième ni les portes). Et quand je pense à un livre, bien fréquemment je préfère le faire apparaître sur l’écran plutôt qu’aller le prendre sur l’étagère : un livre papier on y voit mal et il n’y a pas de moteur de recherche pour les occurrences. Ça ne répond pas à la question de Bourrion mais quand même : multiplier les écrans n’est pas incompatible avec les livres. Reste la question de la télé, mais ça je n’y connais rien. Eux aussi, la télé et les films surgissent bien mieux sur les dalles-écran de toutes tailles qu’on dispose dans nos reliefs-monde. L’enjeu deviendrait plutôt : et comment faire surgir nos livres dans ces fenêtres-monde qui donnent réel, images, sons et secrets ? J’en reste à mon désaccord : je refuse le concept même du lambda – je ne procède à élimination sauvage de followers pour ces photos d’animaux qui semblent devenues la fonction première de Facebook (avant ce n’était que des chats, maintenant c’est tous les animaux : AllBeastBook). Et puis finalement, quelque chose comme Fossile, ça laisse derrière soi combien de ces daubes dont on nous assomme sous le nom de rentrée littéraire et dont l’écroulement industriel en cours me laisse en fait parfaitement indifférent ? Photo : téléviseurs, déchetterie Tours-La Riche, hier.


François Bon © Tiers Livre Éditeur, mentions légales
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1ère mise en ligne et dernière modification le 31 août 2014
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