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journal | des pneus, des montagnes, et du destin artistique

Quand je suis entré au Palais de Tokyo et que j’ai découvert l’ampleur et l’échelle de ce que Thomas Hirschhorn y a installé pour sa Flamme éternelle (une sélection de mes photos), à force de montagnes de pneus usés, c’est bien sûr l’odeur qui m’a transporté tout de suite en enfance, mais depuis c’est devenu un peu obsessif, elles reviennent en nombre, les images avec pneus. À Saint-Michel en l’Herm, on descendait dans une cave murée au bout, parce que le caoutchouc naturel exigeait cette fraîcheur. Je savais que de l’autre côté il y avait les restes d’un souterrain en provenance de la vieille abbaye – je ne l’aurai jamais exploré. Dans la cour, à Civray, les pneus sont tas, comme au Palais de Tokyo. On a rarement de la neige, ces années-là, dans l’ouest. Quand cet hiver-là tout d’un coup il neige, avec mon frère on dégotte un capot cabossé de 2CV, on le monte tout là-haut et on glisse. On aura connu et la montagne et les sports d’hiver. Le souvenir suivant en découle, et c’est avec Philippe Cognée, l’autre soir à Chambord, qu’on en parlait : on est en 6ème, au collège de Saint-Michel-en-l’Herm, donc fin 1963, et le prof principal, M. Martin, parce qu’il faisait aussi dessin, nous propose de dessiner une montagne. Où aurais-je vu une montagne ? Elle commence sagement aux deux coins inférieurs gauche et droit de ma feuille, s’élève vers le milieu en un merveilleux M à double sommet, il y a probablement les arbres, la neige, un animal peut-être, je suis émerveillé par ce qui naît, et puis le prof prend la feuille, et de très haut la montre à tout le monde, qu’est-ce que c’est cette montagne qui s’arrête aux bords de la feuille, où a-t-on vu une ineptie pareille ? Je suis un imbécile, je ne dessinerai plus jamais, je m’appliquerai à être, en dessin comme sport, le dernier de la classe pour toujours, par défi. Mon tas de pneus était une montagne et ressemblait à ça. Bon, on finit quand même sa longue et laborieuse carrière plumitive par un poste en école d’arts, pareil que Philippe, et pour retrouver sur les chemins d’art les pneus de Thomas Hirschhorn (photo ci-dessus).


François Bon © Tiers Livre Éditeur, mentions légales
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1ère mise en ligne et dernière modification le 29 mai 2014
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