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2013.07.14 | crains qu’un jour un train

En mai 2010, nous avons dormi près du lac Mégantic, de l’autre côté par rapport à la petite ville qu’est Lac-Mégantic. De ces petites villes québécoises calmes et bien rangées, prospères certainement même si les zones industrielles sinistrées de Thetford Mines sont tout auprès. On était monté jusqu’à l’observatoire du mont Mégantic, souvenir qu’au matin on avait arrêté la voiture au bord de la route : un orignal nous considérait gravement depuis l’orée du bois (photos ici). On suit souvent sur des kilomètres ces trains de centaines de wagon, convoyés à vitesse lente. Ce soir-là, au changement d’équipe à Nantes (dans cette région il y aussi Syracuse et Montpelier), le conducteur laisse le train non pas sur une voie manoeuvre, mais sur la voie principale. Quand il revient, le train est parti très lentement, mais va prendre de l’élan pendant 10 kilomètres avant de buter en plein centre-ville de Lac-Mégantic, vers 1h30 du matin. Je suivrai en direct via un dur de dur grand tendre du journalisme de terrain, l’ami Michel Dumais (remonter son compte twitter @mdumais pour un exemple magistral de l’utilisation de twitter dans une enquête citoyenne), qui lui n’ira pas dormir de la nuit ni de la journée à suivre. Encore dans la nuit québécoise, Facebook déjà au rendez-vous pour les nouvelles des proches : les parents d’un copain proche y vivent, à Lac-Mégantic, c’est par Facebook qu’on saura qu’ils sont évacués, mais indemnes. Je m’étonne que les trains passent ainsi en pleine ville, le copain me rétorque que c’est l’inverse, ces villes qu’il dit post-coloniales s’installant sur les noeuds ferroviaires. Lui, ce dont il se rappelle, c’est des sous déposés enfant sur la voie avant le passage des trains, pour les retrouver déformés ensuite. De ce train gigantesque, chargé de pétrole brut issu de la fracturation des schistes, et devenu une bombe pour la petite ville endormie, passionnant de suivre le travail de Dumais : la façon dont parle et se comporte le président de la compagnie de trains, cynisme et arrogance, loi du fric et voilà le résultat. La protection policière autour du conducteur : mais comment rendre possible de telles conséquences à une seule erreur humaine, s’il s’agit d’une erreur humaine ? Moi, ce à quoi je pense, c’est à ce qui a pu se passer dans sa tête, et ce qu’il a fait, découvrant que son train était parti seul dans la nuit. Qu’est-ce qu’on espère comme miracle. Et qu’est-ce qui vous passe dans la tête (rien, peut-être, si on juge aux photos près de son Jeep tout neuf) quand on apprend le miracle n’a pas eu lieu. Et puis, avant-hier soir, le Corail de Limoges qui déraille à Brétigny, écrasant broyant ses passagers. Le même vieux Corail de 30 ans d’âge, la même ligne exactement, que les Austerlitz qui le soir nous ramènent à Tours. Les prix du PGV ont flambé (ils ne contreviennent pas aux hausses des prix, simplement ils classent tous les TGV en tarif horaire le plus haut), donc c’est toujours le vieux Corail que prennent mes enfants, et moi-même je le prends de plus en plus souvent, voyage à 14 ou 17 euros au lieu de 32 ou 42 même avec ma carte Fréquence payée 240 euros le semestre. Mais que fait la SNCF de son fric, sinon des pubs, des logiciels, du clinquant, en raréfiant les horaires de dessertes sur des matériels de plus en plus précaire – voir 119, 1414, 1455 et autres...). Là encore, Facebook : pas mal de copains usagers de la ligne, tous ceux qui font le pendulaire Orléans-Paris, on y est passé dessus combien de fois, dans notre cercueil de fer tremblant, dans les dernières semaines, cet aiguillage dévissé déglingué ? Et qu’est-ce que c’est, une heure de voyage en plus par rapport au TGV, quand on a le nez vissé dans son ordi, sauf que ça peut représenter la mort (après tout, ça nous est arrivé une fois aussi en TGV d’être lancé à contre-voie et ce jour-là on avait senti qu’ils n’étaient pas fiers, à la SNCF). Pas de moralité, surtout pas (lire Rue89). Mais le train, qui devenait un élément passif de l’imaginaire, est revenu doublement au premier plan, à moins de 7 jours d’intervalle. Crains qu’un jour un train ne t’émeuve / Plus avait écrit Apollinaire avec ce génial déport du dernier monosyllabe : ben ça y est.


François Bon © Tiers Livre Éditeur, mentions légales
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1ère mise en ligne et dernière modification le 14 juillet 2013
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