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journal | du y et autres conventions

une autre date au hasard :
2023.03.05 | la Poclain aux lichens

Drôle de traversée tous ces jours, 300 pages avec mini 15 annotations par page c’est 4500 dialogues intérieurs avec la correctrice dont on connaîtra la main et pas le visage, et ça ne se fait pas en 3 jours. Toujours l’impression d’être soudain confronté à un monde qui vous déstabilise profondément, presque comme d’être pris en faute. Pourtant, travail qu’on saurait faire sur l’écriture d’un autre, et que jamais on ne sait faire pour soi-même. Où je ne retrouve pas mon livre, ce sont des détails sur des conventions d’italiques, guillemets, tirets mais qu’on déplace la convention et c’est tout l’équilibre qu’on déplace. Rapport aux trois points, l’économie où je veux être (pas forcément besoin de point d’interrogation dans une phrase interrogative, pas forcément besoin de marquer qu’on s’exclame). Mais, de mon côté, quand je recopiais des citations de Proust, combien de fois je les reponctuais à ma sauce et là chacune avait été vérifiée. La correctrice remonte toutes les orthographes (pour le duc de Guermantes, j’écrivais Bazin et non Basin), les précisions techniques (non, c’est bien l’oxyde de carbone et non le dioxyde qui a asphyxié Zola, mais encore fallait-il le vérifier). Tout ça, c’est le travail, et la part incompressible de la compétence éditoriale : on fait entrer le livre dans un processus collectif qui le rehausse. Mais comment traverser l’écroulement intérieur à ces pages annotées comme si on avait été partout négligent (attention, ce n’est surtout pas l’intention de la main qui suggère, précise, dit timidement « tel ? » quand vous vous plantez sur une syntaxe...) ? La grammaire est toujours subjective, je ne mettrai pas de s à salle de bain, et j’accepterai de corriger fous rires sans trop piger les règles. La ponctuation est un enjeu esthétique comme les autres. Le : est pour moi un signe fort, plutôt une marque proche du point de fin de phrase, et en emboîter deux ne me gêne pas (là, dans le Proust, ne me le suis pas permis) – mais j’ai souvent gardé ma virgule dans une phrase avec hiérarchie de proposition, là où la correctrice me proposait le double point. De même, elle n’aime pas la virgule quand la proposition suivante commence par un mais et je n’ai pas toujours suivi. Dans les dialogues Baudelaire Proust, j’avais l’impression qu’il me fallait un côté fantômatique, comme les fumigations (au datura, me précise-t-on !) qui alourdissaient la chambre de Proust, alors j’ai gardé mes guillemets à chaque réplique, sauf dans une scène où il s’agissait vraiment pour moi d’un dialogue. Je ne m’étais pas aperçu d’un tic : utilisé des dizaines de fois la préposition via. Si je dois me justifier, probablement que la pensée Internet, qui va par lien, médiation, la renchérit comme outil. D’un coup je la trouvais en ital comme les autres héritages romains, comme on met en ital continuum ou a priori. Pour via, j’ai demandé le retour en romain. À chaque livre, Après le livre et Autobiographie des objets, je demande au Seuil que la table des matières, titre et sous-titre, soit mise en tête de l’ouvrage, comme dans la convention américaine, et comme la lecture numérique nous y familiarise. Je l’ai à nouveau demandé, je me doute qu’ils vont à nouveau me le refuser. Pareil, j’ai sucré en douce une partie du Du même auteur, qui inclut la moindre broutille imprimée et refuse toute considération pour la publication web. L’indication du site web me suffirait. Mais où je ne reviendrai pas en arrière, c’est sur le y dans paye, dans essaye. Les Parisiens écrivent paie et essaie, je ne m’y fais pas. Je ne prononce pas comme ça. L’histoire de notre prononciation de l’ouest est une mise à mort de la diphtongue depuis quatre siècles. J’ai conservé mes y. Et merci Emmanuelle A.


François Bon © Tiers Livre Éditeur, mentions légales
1ère mise en ligne et dernière modification le 19 juin 2013
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