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journal | répartition des heures

La fête était belle, hier à Suresnes, et le plaisir de découvrir – après, pas avant – que pas mal de têtes amies parmi ceux qui étaient présents invisibles de l’autre côté des trois projecteurs installés par Philippe De Jonckheere. Mais c’est juste la répartition des heures, qui est toujours une sorte de question, ce que Deleuze appelait dans un rapport énonçable. Donc le train à 8h15, puis de Montparnasse à porte de Versailles en métro. Dans le TGV j’avance de quelques lignes un texte difficile (quand Lovecraft est dans une longue narration, les repères narratifs aident à traduire – là il s’agit d’un texte de 15 pages, donc une tension plus lyrique), The Hound que je voulais traduire parce qu’il y parle de Baudelaire et de Huysmans. Porte de Versailles, j’entre dans un des grands cafés et refais encore 40 minutes de traduction, quoi, 5 lignes de plus ? Mais mentalement c’est une façon d’appui, de sas, de se séparer de l’ordinaire. C’est un café où, du temps que j’allais au Salon du Livre, il s’y discute toujours beaucoup plus de trucs que dedans, c’était curieux de le voir dans une autre période. Puis Tram 2, qui fait un grand crochet pour longer la Seine de l’autre côté, et me dépose à Suresnes-Longchamp. SMS, Philippe et Dominique Pifarély sont déjà au travail, de même qu’ils y ont passé toute la journée précédente, j’arrive à 11h. Quatre ordis sur la table, le Mac de Dominique et 3 PC pour les projections de Phil, qui travaillera comme de deux mains indépendantes pour en jouer. J’ai apporté mon vieux Sennheiser MD441 de 1973, il faut un peu de temps pour brancher et équilibrer, mais c’est vraiment un micro qui garde une longueur d’avance sur les plus récents. Jusqu’à 13h, mise en place début et 1ère moitié du texte. On prend 1 heure ensuite et Julien Pauthe, le directeur de la médiathèque, nous emmène dans un bistrot plat du jour, une petite rue à côté, paëlla 9,50€ et café, retour. Mise en place de la 2ème partie, synchro des lancées de textes et des projections. Nouveaux calages du grand texte central, pris à la série Contre de Phil, où j’alterne des fragments sur la photographie et des fragments sur le rêve. Trouver aussi les marques pour la prononciation, le dimétrodon, donc ou un simple rond-point à Créteil ça doit s’anticiper – chez moi je ne travaille pas à voix haute, c’est seulement là. On fait un break de 30 minutes, Julien me fait visiter la médiathèque, toujours à apprendre de ces visites : par exemple les livres musique intégrés à l’espace CD, ou les 2 écrans tactiles 27’’ laissés à disposition des petits de 4 à 6 ans avec La souris qui raconte. Retour salle, il pleut dehors, Phil doit aller changer la place de sa voiture dans le parking municipal. On fait un filage, 52’, sans s’user, mais en établissant le plus précis. Grande beauté des moments donnés par Dominique, toujours très différents dans le questionnement d’une répèt, et ce qui deviendra plus projeté, plus tendu, dans la lecture. J’intègre dernières corrections et resynchro du texte sur l’iPad, il est 18h. Nettoyage plateau. Reste 2 heures. D’abord on reste dans la salle. Je me mets dans un coin au fond. Je n’aime pas trop parler dans ces moments, même aux 2 copains. Dominique, dans sa bulle, joue du Bach et je crois que tous, en faisant semblant du contraire, on l’écoute intensément. Puis, la médiathèque ayant fermé, on s’installe dans la réserve, drôle de musée improvisé, avec des restes d’expo, des bouquins en pile, des vieux projecteurs de diapo. Je mange une banane, comme dans l’entracte entre les 2 x 2 heures d’atelier à SciencesPo. J’enlève les lunettes, vague stretching, beaucoup d’attention à la respiration. On commence à 20h15. On doit être un peu long que dans le filage, probablement une petite heure, mais sans déborder. J’aime bien ce format, qui permet de gérer l’intensité. À quoi je pense ? Écouter Dominique, chaque inflexion, chaque bifurcation. Quelquefois aller droit quand lui part dans l’opposé de ce qu’on fait. Dans mon champ visuel, en permanence, ses mains. Je vois aussi les mains de Phil. Je ne vois qu’un écran sur les trois, mais la fluidité ou les mouvements d’images convoient la lecture. Je ne crois pas que je pense. Ce à quoi j’ai à faire, c’est à des voyelles, des consonnes, des durées d’énonciation et des précisions de sens. Je ne crois pas, dans ces 50 minutes de texte lu, que je pense à autre chose qu’à la précision de ce que je lis. Puis c’est fini. Moment avec les gens et les amis, mais où est-ce qu’on est, à l’intérieur ? Un pot est servi à l’étage, mais j’ai assez vidé d’eau minérale dans la journée, c’est du vide qui se fait. Pourquoi, ces lectures à 3, on n’a pas le droit d’en faire plus souvent ? Des années, les 3, qu’on se connaît – et là plusieurs années qu’on bosse ensemble, même si là, Contre, c’était dès le départ pensé comme unique et non reproductible. Ce qu’on rejoue dans l’instant de la lecture, c’est toutes ces années accumulées, et le dialogue souvent quotidien, via web interposé. Avec Dominique, ça fait 7 ans qu’on se voit pour travailler, et peut-être 2 fois en tout et pour tout où on s’est vu pour le plaisir de se voir (dans son beau jardin, la dernière fois). Au moins j’ai la chance que l’équipe remue.net me ramène en voiture à Austerlitz pour le 23h08 (merci, les trois). Je monte directement dans le train voie 17. Beaucoup de monde, mais je serai seul pour les 2 sièges, je sors l’ordi sur la tablette par réflexe mais non. Bouquin papier, je lis 3 courts chapitres de Le bruit subtil de la prose de Giorgio Manganelli, pas question d’en lire plus, c’est ma dose, c’est trop dense, et il faut mémoriser. Puis je lirai Grisham, The Litigators, sur l’iPad. Arrivée 1h01 – c’est de la chance, avant ce train, longtemps à 22h53, partait tous les soirs d’Austerlitz, maintenant c’est seulement le vendredi qu’il ne s’arrête pas à Orléans et continue jusqu’à Saint-Pierre des Corps. Aujourd’hui, c’est ce qu’il me reste : de 8h15 à 1h15, 16 heures, pour temps de lecture 1 heure. La bonne proportion. Et le temps vide de ce matin, les rangements, mise en ordre, est-ce que c’est encore le temps de lecture ? Et pourtant, c’est tellement de ça qu’on a besoin. Et tellement ça l’obligation (Philippe De Jonckheere, il en a engouffré combien, d’heures, pour préparer sa projection ?), pour ce moment du funambule. (Encore merci Julien Pauthe, beau de savoir qu’une médiathèque se donne comme ça les moyens, pas seulement question de technique, mais d’implication d’équipe, d’un lieu qui soit la littérature comme elle se donne.)


François Bon © Tiers Livre Éditeur, mentions légales
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1ère mise en ligne et dernière modification le 27 avril 2013
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