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point d’énonciation

une autre date au hasard :
2008.06.30 | les mots font parfois nuages

Je ne crains pas les situations en public, mais pour les affronter il me faut un cadre, quelque chose qui justifie ce que je fais ici à ce moment, au nom de quoi je parle et quoi quoi dire. En situation d’atelier je n’ai pas de trouble, on établit un travail ensemble, et on se lance dans ce travail – je suis à ma place. En situation de lecture ou performance ça va aussi : je sais dans quel texte on se lance, seul ou avec le Pifarely’s band, je sais seconde après seconde qu’est-ce que je dois affronter ou maîtriser dans la lecture même, et ne tient pas au public mais à l’objet lui-même. Ce sont les autres situations que je n’arrive plus à assumer. Être dans les lieux où il y a du monde, alors que le problème de non-reconnaissance des visages devient une espèce de chape à chacun de ceux qui se présentent, hier au moins trois quiproquos (indépendamment du fait que, puisque l’après-midi s’est déroulée sans pause, au moins trois personnes que j’aurais souhaité saluer et que je n’ai pu croiser). Position d’énonciation surtout : je n’ai pas de légitimité en parole théorique, et ne sais pas la tenir, et pour ce qui est de la parole collective, conversationnelle, cela m’est tellement étranger qu’à part faire le clown je n’ai pas beaucoup de ressort disponible. Donc désormais, loin en amont, j’évite le plus possible d’être placé dans une position que je paye par trop d’angoisses avant, trop d’insomnies après, et qui sont chaque fois vécues comme un échec, alors que j’ai une vraie joie aux ateliers, une vraie joie à venir lire Rabelais ou Balzac ou parler de Baudelaire etc. Probablement que c’est accentué lorsqu’il s’agit de numérique : après tout, si on donne une telle place au travail du site, et à l’écriture même, qui est solitaire même si elle est connectée – bien dans son site, parce qu’on ne sait pas être bien autrement ou ailleurs. Créer par le temps écran un point d’équilibre dans la communauté qui soit en dehors de ces contraintes dont on ne sait pas s’approprier les règles. Et puis de temps en temps ça revient comme un mur, on se retrouve dans ce point d’énonciation qu’on sait celui du gouffre noir.


François Bon © Tiers Livre Éditeur, mentions légales
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1ère mise en ligne et dernière modification le 21 novembre 2012
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