Je le savais très bien, qu’on n’avait pas le droit de photographier, dans ce musée. D’ailleurs j’ai obtempéré et laissé l’appareil-photo dans mon sac d’ordi à la consigne. Mais là on vient pour voir, et voir pour moi ça se fait avec l’iPhone – pour de vrai. Je veux un renseignement sur un type, une date, un lieu, une technique, j’ai Google de prêt dans mon machin de poche. Une phrase que je recopie sur un cartouche, un titre de toile, une phrase ou un mot qui me viennent et que j’archive, il n’y a pas marqué : calepin électronique interdit, puisque c’est mon calepin à tout faire. Je regarde rarement tous les tableaux, mais je reste souvent longtemps devant tel ou tel. Donc c’est pas difficile non plus de poser le pouce sur Camera + et quand c’est prêt tu relèves un poil le bigophone, appui sur le déclencheur, l’iPhone en muet pour éviter cet imbécile clic à bruit d’appareil d’autrefois pour faire vrai, et je fais ma doc en image. De quel droit m’interdisent-ils de photographier un cartouche avec des renseignements bibliographiques ? Je sais bien que c’est dangereux : la semaine dernière, j’ai téléchargé la nouvelle App Amazon gratuite, tu photographies la couv d’un livre ou son code barre, même dans une librairie, et ça t’envoie immédiatement la proposition d’achat, les autres bouquins du même auteur, les trucs dispo ou pas etc. Mais ceci dit, là c’était moins discret. Sur l’enfilade très claire, me surprenait la parfaite symétrie des deux silhouettes à chignon, un garçon, une fille, embauchés pour l’été comme gardien, tête typique de petits loups élèves fin de première année école des Beaux-Arts, ce gibier-là ça me connaît. Et donc, j’avais pas relevé l’appareil que ça se défaisait, elle venait vers moi, moi je faisais sagement semblant de tweeter ou d’écrire sur Evernote, elle m’a suivi pendant au moins 10 minutes pour me surprendre et moi je faisais exprès de prendre des vraies notes sur Evernote, je pensais au gardien de musée et son visiteur sur le banc dans Maîtres anciens de Thomas Bernhard, j’étais tout rempli d’un Giacometti et d’un fabuleux De Staël. Mais est-ce que j’aurais été cap de leur expliquer : est-ce que la fonction documentation image que j’utilise via mon iPhone constitue une photographie. Vous deux, mes petits bichous de fin de première année des Beaux-Arts en job d’été, si je te prends en colle et que je te demande de me développer en 20 minutes chrono : toute image optiquement constituée pour sa reproductibilité est-elle une photographie tu crois pas que tu dis : ce vieux con, vaut mieux le laisser bidouiller son gadget d’iPhone au lieu de regarder nos merveilles ?