La ville a poussé avec le temps. Suzanne l’a filmée avec son drone et regarde longtemps la vidéo : Des terrils, cônes parfaits comme des pyramides , donc des taupinières dessous. Beaucoup de grands arbres tellement petits à coté des immeubles huit étages et plus et donc beaucoup d’eau dessous. Les sept collines émergent et dessous, elle rêve à des collines inversées. Des gros blocs de bâtiments surtout à la périphérie, cubiques, mastocs, les mêmes lui viennent à l’esprit, au dessous à l’envers. Puis la grand’rue, de sept kilomètres, comme un ruisseau qui aurait creusé depuis des millénaires, de chaque coté des montagnes non des immeubles, jaunes, ocres ou gris elle se voit dans le grand canyon américain. Elle devine une autre ville en dessous qui épouse les contours et les reliefs de ce que le drone a filmé.
Suzanne s’arrête sur ce gros pavé à l’entrée de ville, le parking couvert. Elle en descend mentalement les étages, un nombre impressionnant de petites voitures, Dinky Toys rouges grises noires jaunes parfois. On dirait une prison pour voitures, voilà tout ça de moins dans les rues. Au moins elles ne font pas de bruit, un gros bloc silencieux au milieu de la rumeur sourde, lancinante, chaotique , hurlante parfois de la ville. Suzanne descend si bas qu’elle passe la frontière et descend tout en bas, autant de voitures à l’arrêt, autant de couleurs, sans bruit. Ce trou qu’ils ont creusé si profond avec le poids de toutes ces voitures, il doit y avoir une pression aussi forte que celle du plongeur des profondeurs de l’eau. Les étages du parking souterrains sont autant de palier de décompression.
Elle voit un tout petit morceau de rivière, presque un ru. Il ressort un peu plus loin, et encore une fois au bout de la ville C’est une respiration. De chaque côté, des maisons plus petites, des places d’où émerge parfois des statues, un monument aux morts énorme et au sommet un soldat enveloppé dans un grand linceul. Ce ru permet chez les riches de vraies érections de jets d’eau et il empêche les pauvres de profiter à loisir de l’eau : les fontaines sont fermées. Dessous, en quinconce, cinq à six bouts de rivières plus bouillonnantes parce que cernées par d’autres parois, d’autres tuyaux, un enchevêtrement de descentes tumultueuses et de platitudes désespérantes. Et si la rivière, dessus, devenait un torrent qui creuse creuse la ville pour faire advenir un fleuve tonitruant, comme il a été décrit parfois par des poètes.
Ah! le Puit Pigeot, on ne voit que lui : sa haute structure en poutrelles de fer et acier de Quatre ou cinq étages, ce sont les piliers et jambes de force reliés entre eux par des croix de Saint André, au sommet les molettes et les cables, des escaliers de service. Au sol, un bâtiment avec les compresseurs, la machinerie, les bains douche et la salle des pendus. On ne les voit pas mais elle l’a si souvent visité ce puit devenu musée, elle le revisite avec entrain. Et là, pas de reflet, pas de poutrelles inversées : Avec les mineurs, on franchit très vite la limite entre le grand air et la vie souterraine, on s’enfonce dans les galeries, ils creusent creusent, le sous-sol est un vrai gruyère, une vraie passoire, une fourmilière avec toutes ces galeries. Voilà pourquoi les crassiers: le charbon part d’un coté dans des wagonnets et les détritus de l’autre, les scories remontent en monticules bruns rouges noirs.
L’enfant regarde la vidéo lui aussi. Ce qui l’intrigue, ce sont les sept collines et les pyramides « Oui, je sais, ce sont les montagnes de détritus du charbon, mais je crois que ce sont des volcans endormis. Un jour, ils vont trembler, gronder et une éruption comme celle du Vésuve va engloutir la ville. J’en suis sûr. Regarde ces chaleurs qu’on a eu pendant quinze jours, ça commence comme ça, il fait trop chaud, la ville on la voit fumer : pollution et éruption. Parce qu’il fait très chaud aussi dessous. Je crois que les mineurs ont creusé trop loin, trop fort, ils sont arrivés jusqu’au centre de la terre. La mince couche qui reste va éclater et propulser des tonnes de pierres, minéraux, et lave en fusion.Ho! je sais, dans quelques années, notre ville n’existera plus, et celles d’à coté vont prendre tous ces matériaux et construire d’autres immeubles parkings statues engins motorisés divers, les mineurs devenus poussière seront les premiers à aller sur Mars.
Mais depuis tout ce temps, on pense à cette autre ville à l’envers dessous, on la passe en revue de galerie en galerie, de parkings en souterrains. Ebahis, on y contemple avec tristesse l’absence de vivants humains………;
En dépit de la tristesse du propos, de la peinture d’un enfermement aux relents de goudron, je ne peux me déprendre d’un certain émerveillement à cette lecture. Je pense à Alice et au lapin blanc, à la grâce de l’imagination et à la liberté de l’écriture. Dessus-dessous ? Et vice et versa 😉 Merci.
Deneb Kypros, merci infiniment : J’ai lu quelques textes superbes, dont le vôtre ( Vous m’avez fait rire et tout est fait avec légèreté) et j’ai pensé – Ce n’est pas possible, je n’ai rien compris, j’ai écrit à côté de la plaque, il faut que je recommence tout – je vais encore lire tous les autres, en attendant je vous remercie de votre commentaire qui me fait très plaisir.
A côté de la plaque … J’ai le même sentiment. Puis je me dis, finaude : quelle plaque ? Et ensuite, pompeusement : « on écrit toujours à côté d’une plaque ». Ca marche un temps mais ça me rattrape quand même, toujours. Solidarité 😉
Merci.