vingt ans plus tard – et dix ans après les premières enquêtes – me parvient la recherche d’une maison de production télévisuelle – tirer des câbles huit heures par jour dans un studio de la plaine Saint Denis (la paye je ne me souviens plus, équivalente sans doute à celle d’enquêteur, je ne me serais pas mobilisé sinon) – je ne me souviens plus exactement de la façon dont j’ai rejoint le lieu – j’ai dû chercher pas mal – c’était le fouillis, c’était le début de cette émission et de ce territoire – novembre 88, je ne sais plus exactement – le studio était assez grand, je sais que sur le sol étaient tendus des plastiques transparent pour protéger une moquette criarde – tout ruisselait de nouveauté rustre et clinquante, brillante comme le présentateur – un seul petit moment pour entreprendre une carrière dans la production – télévisuelle peut-être, mais non loin des désirs plus ou moins frelatés d’alors (les relations avec le milieu difficilement envisageables, quelques années de fréquentation en avaient donné raison – cette morgue, cette façon de se penser le dessus de la crème du panier – je suis mal tombé (je me souviens du travail de Maria Schneider, je me souviens de celui de Bulle Ogier) – je me souviens de l’apparition du cyborg en costume gris sur chemise bleu clair : ce moment-là où les choses se décident – maquillage coiffure – je me souviens des paroles (assez amènes pourtant) du chef-machino – les faux rires, les humiliations légères, les blagues imbéciles, tout le kit (au début, les gens ne se connaissent que peu entre eux) – tant pis (il faut aussi manger) : marché conclu et rendez-vous pris pour signer le contrat – alors j’en étais aux scénarios, j’en étais aux nouvelles, des écrits machines à écrire et fautes de frappe rectifiées au blanc – quelques mois étaient passés durant lesquels j’avais envoyé, entre autres, « l’épicerie » ici (une revue, nommée textes et marges il me semble) « histoire naturelle » là (une autre revue, Cargo qui plus tard la prit) à un concours aussi, lequel m’informa de la nécessité, pour recevoir mon prix, de me présenter en chair os âme et esprit à Toulouse le jour même de l’enregistrement des émissions – le duel cornélien s’entreprit, une fraction de seconde, et l’histoire naturelle l’a emporté – je suis allé voir la ville rose où « on se traite de con pour peu que l’on se traite » – on mange on boit on rit : photo pour le Sud-ouest (presse quotidienne régionale) écriture en rigolant de l’article vantant nos mérites, rire et boire et retour en train de nuit… – et le trait tiré sur les câbles à ranger en fin d’émission, le cyborg, la plaine, la télé – et l’émission dure encore
je ne me souviens pas puisque (oh combien le regrette) je n’étais pas dans un coin, invisible, ou quasi, regardant, écoutant, ne mangeant pas et m’en moquant mais riant en silence et sympathie