Je reprends le dernier paragraphe de la toute première proposition que j’avais intitulée « Toi, tu es faite de granit », je l’ai expurgée de ses JE et je lui donne un titre emprunté à Christa Wolf.
Quand le sol se dérobera sous mes pas — qu’importe alors qu’il soit de tommettes, de lino, de ciment passivé ou de moquette — quand le monde ne se lira plus qu’en deux dimensions (haut-bas, dessus-dessous, avant-après), quand je me contenterai de corrélations menteuses — maudite murette et vilain trou qui m’ont fait trébucher, j’aurais dû mettre d’autres chaussures ou il faut que je change mes lunettes — abandonnant la recherche des causes, quand je m’en sortirai sans égratignures parfois, bien amochée souvent, quand je ne me sentirai bien qu’allongée dans mon lit, craignant l’épreuve du lever, je saurai que le monde a perdu pour moi son épaisseur, sa densité et sa complexité, je serai sage et attendrai de reprendre des forces ; il viendra un moment où, même étendue, je craindrai l’instabilité des tommettes de la salle de bain, du lino de la cuisine, du ciment passivé des trottoirs, de la moquette des parties communes, du gravier de la cour qu’il faudrait regarnir, le bitume de la rue flottera comme après un séjour en bateau, le plancher de l’ascenseur amorcera de vertigineux décrochages comme dans mes rêves, plus question de pieds ancrés bien profond et de tête voisinant le firmament, plus de verticalité, plus de portance, rotation et révolution de la terre se confondront et les étoiles deviendront le dernier point fixe, il sera temps de me confier au clinamen qui m’avait donné vie pour débuter mon entrée dans le mouvement de l’univers et espérer renaître sous une autre forme, vache pensive ou sauterelle avide.
toi, tu es faite de granit
Quand le sol se dérobera sous mes pas — qu’importe alors qu’il soit de tommettes, de lino, de ciment passivé ou de moquette — quand elle ne vivra plus qu’en deux dimensions (haut-bas, dessus-dessous, avant-après), et se contentera de corrélations menteuses — « maudite murette et vilain trou qui m’ont fait trébucher, j’ aurais dû mettre d’autres chaussures ou il faut que je change de lunettes » — abandonnant la recherche des causes, quand elle s’en sortira sans égratignures parfois, bien amochée souvent, quand elle ne se sentira bien qu’allongée dans son lit, craignant l’épreuve du lever, alors le monde aura perdu son épaisseur, sa densité et sa complexité, et lui sera sage et attendra de reprendre des forces. La fatigue sera de plus en plus tenace, tout reposé qu’il soit, il la sentira encore immense, incommensurable, définitive.
Cela viendra-t-il insidieusement ou bien cela les surprendra-t-il brutalement, elle et lui ? Qui saurait le dire ? Un jour, il ne sera plus en mesure de la porter, il lui fera faux bond. Ou bien alors est-ce elle qui lui perdra la tête ? Un corps sans tête, une tête sans corps, reste le cœur dit-on ! La belle jambe !
Il viendra un moment où, même étendu, il craindra l’instabilité des tommettes de la salle de bain, du lino de la cuisine, du ciment passivé des trottoirs, de la moquette des parties communes, du gravier de la cour « qu’il faudrait regarnir » ; le bitume de la rue flottera comme après un séjour en bateau, le plancher de l’ascenseur amorcera de vertigineux décrochages comme dans ses rêves d’autrefois, plus question de pieds ancrés bien profond et de tête voisinant le firmament, plus de verticalité, plus de portance, rotation et révolution de la terre se confondront et les étoiles deviendront le dernier point fixe. Et ce ne sera que le début, un vertige n’est pas très grave.
Ou bien les mots et les pensées auront-ils fui avant ? Lui continuera sa marche vaillante en toute inconscience, solide comme un roc et bien valide, mais divagant au fil d’étranges préoccupations, déambulant sans but, de nuit comme de jour ? Mais elle ? Cela commencera par des oublis, des absences, des erreurs qu’on croira d’inattention, puis viendront les petites stratégies pour les cacher, faire encore bonne figure, avec des victoires et des échecs, puis ce sera le grand cafouillis, la débandade, la purée dans la tête, la marmelade, la bouillie. Ils riront d’abord de ces bizarreries, puis souriront, s’agaceront, pour finir par les enfermer peut-être, elle et lui, pour les protéger du danger. Regarderont-ils encore cet attelage étrange d’un corps et d’un esprit qui n’ont plus rien de la personne qu’ils ont connue ? Une entité indéfinie, protégée, assistée, dévaluée !
Il y aura pire encore, l’incontinence de tous les sphincters qui lâcheront, la bave, le pipi, le caca, les mots qu’on profère par réflexe, les cris qu’on ne refrène plus. Quand tout foutra le camp, il n’y aura plus que les symptômes qui auront un nom.
Que restera-t-il ? Un corps affamé sur une tête embrumée ? Une tête lucide sur un corps impotent ? Et le cœur, le cœur toujours avide de caresses et de mots doux ! Un chat errant, quel pied ! Demeurera l’âme, cette chose qui s’échappe avec le dernier souffle dit-on et volette vers l’infini, qu’il ne faut pas enfermer, contraindre, empêcher. Un être de liberté, vraiment ? Bizarrement fagotée !
Demeureront les atomes dissociés qui avaient un jour formé cet il et cette elle qui allaient si bien ensemble. Que le vent les emporte ! Il y a peu de chance qu’ils cohabitent à nouveau, mais sait-on jamais ? Des hypothèses, il y en a plein : résurrection des corps, réincarnation, transformation en esprit frappeur, feu follet, fantôme, revenant ! Je n’ai pas envie de choisir quelle serait la bonne ? Et toi ?
ahlala Daniele, je sais pas si c’est une 10 car pas sûre d’entraver ce qu’elle est la 10 si ce n’est dissolution du moi, le changement de personne y suffit-il ? that is the question. En attendant humour et cruauté et la photo implacable pour souligner, la bêche et le stockman haute couture ! vous-elle y va fort !
Pas de dissolution du moi, au contraire l’utilisation de toutes les facettes du JE, y compris les plus noires.
Cette photo prise chez ma voisine par hasard a tout d’un coup pris tout son sens.
ah oui ! belle façon de comprendre le #10