près de descendre du train, E. m’appelle au téléphone pendant que je salue d’un nouveau sourire mes voisines asiatiques sans ne rien comprendre à ce qu’elles semblent gentiment me murmurer, ce dont je mets au courant E. (je lui décris la scène, elle rit), elle qui a toujours été attirée par le Japon et qui enchaine avec facilité sur Fellini et sa forte admiration pour les films (surtout Rêves) de Kurosawa, son voyage assez tardif au pays du Soleil levant pour y recevoir un prix à l’âge de 70 ans, l’accueil de Giulietta Masina à Tokyo sous les acclamations de son nom emprunté au film La Strada soit Gelsomina ! : au fond pour les japonais, son vrai nom, un nom de fleur en italien puisqu’il veut dire, si on remplace le a final par un o, jasmin, évoquant la couleur blanche et le parfum entêtant d’une saison faussement fraiche et légère
on a raconté à E., qui elle aussi s’est rendue sur place, que le plus ancien article japonais trouvé sur Fellini parait en 1957 suivi ensuite par une série de beaux portraits aussi bien illustrés (Fellini en costume pastel) parus dans des magazines tels que Marie Claire Japon dans les années 1980 où des interviews de philosophes français réalisés par des philosophes japonais s’alternent avec des recettes gastronomiques d’excellence, des photographies de mode extravagantes et luxueuses, des panoramas pittoresques et exotiques de Grèce ou de Toscane
je me souviens subitement (je partage mon souvenir avec E.) de ces touristes journalistes du Japon visitant les studios de Cinecittà dans son avant-dernier film, Intervista (1987); l’un d’entre eux propose à Marcello Mastroianni dans la vraie maison d’Anita Ekberg de lui faire un massage pour arrêter de fumer ; un drap blanc dans cet intérieur, étiré tel un écran de cinéma projette les ombres des deux acteurs dansant enlacés sur la musique de Nino Rota ; ce sont aussi bien les ombres multiples des spectateurs à travers les années depuis La Dolce Vita ; infinis comme les images d’une foule anonyme se mélangeant se difractant devant un miroir éclaté
plusieurs fois, c’est ainsi que je le raconte à E., Fellini rêve de noyades, de secours de naufrages in extremis, de vols suivis de chutes reflétant des angoisses d’échecs liés à sa création ou à sa demande perpétuelle de fonds pour financer ses films ; je lui raconte les rêves qui peuplent le livre que j’ai pris avec moi ; son Livre des rêves ; dans l’un deux sur une plage, Picasso, non Virgile !, devient son guide alors que le cinéaste a une vision d’énorme femme-sirène échouée sur une plage sans savoir qu’une de ses copies parfaite presque identique est en fait un tableau exécuté par le peintre des années auparavant ayant pour titre : Femme au parasol étendue sur la plage (1933) ; le guide touristique s’est transformé en guide inconscient ; à rebours
Fellini a toujours été (me dit E. d’une voix entendue) un grand menteur, qui fascine se contredit, hypnotise les foules les acteurs qu’il engage pour un aspect, une démarche, une apparence ; qu’il remplit de ses intentions comme des broques de vin romain ; qui désamorce ses craintes de la vraisemblance, de l’eau (il ne sait pas nager) en tournant dans des studios où la mer est en plastique, les rochers sont du ruban adhésif noir ou argent ; (les animaux souvent de taille gigantesque sont clairement de carton-pâte) ; où tout s’invente par exemple à merveille sur ce bateau (film) de La nave va qui réunit une foule de protagonistes chargés d’accompagner les cendres d’une cantatrice sur son ile natale ou sur celui (au loin dans le port de Rimini) d’Amarcord ( je me souviens en dialecte romagnole) appelé Rex tel un nom de cinéma de quartier à moins que cela ne rappelle précédé d’un t- le nom de l’un de ces célèbres dinosaures tout droit sorti la gueule grande ouverte – moribond ou assoiffé de vie ?- d’un livre d’enfant illustré