Portrait en sourire :
– Chez les personnes qui ne font que sourire, on connaît au premier regard la santé de leurs dents parce qu’on les voit toutes.
– Parfois, ce sourire est tellement proéminent qu’il aspire la totalité du visage, les yeux, le menton, le visage devient pointu avec le sourire à une extrémité.
– Lorsqu’Esther est revenue d’Inde, elle portait dans son sourire une sagesse hindouiste qui la rendait invincible, imperméable, imperturbable. J’ai vu des méchantes pensées glisser sur ce visage sans jamais l’abimer.
– Esther a voyagé plus d’une fois au coté de la mort, j’ai appris ce qu’était un sourire triste.
– Il y a une sorte de résonance dans un sourire permanent, comme dans une église. Les paroles, par exemple, s’envolent plus facilement. Les pensées prennent une autre tournure, les regards changent de discours.
Portrait en rêve :
– Esther est un rêve qui a eu sa part de réalité. Ce n’est pas très important de distinguer ce qui a été réel de ce qui ne l’a pas été, ce qui est important, c’est de savoir que tout Esther tient dans un seul rêve.
– Dans l’ailleurs, Esther s’est invitée sur d’autres planètes tout en restant attachée à la réalité évanescente que représente pour elle la danse. Pour beaucoup, la danse tient une partie de rêve, pour elle, c’est un socle. Sans doute parce que le rêve, c’est elle.
– Au lycée, lorsque je l’ai connue, Esther ne s’appelait pas Esther. Esther est un personnage de rêve qui existe réellement, elle est à la fois ce qui a été et le vent qui porte ce qui aurait pu être. Tout comme un rêve.
– Lorsqu’elle m’a dit qu’elle partait vivre en Australie, j’ai souri parce qu’elle ne pouvait pas aller plus loin mais aussi parce que je savais qu’elle serait derrière la première porte que j’ouvrirai.
– Quand j’y réfléchis, Esther n’est pas un rêve, elle est l’idée d’un rêve. Je n’ai pas besoin d’elle pour rêver, je ne crois pas avoir jamais rêver d’elle, ou alors il y a longtemps. Je me dis qu’elle se tient là au moment où je pense à rêver.
Portrait d’ailleurs :
– À New-York, Esther m’a ouvert les yeux sur l’impossible, ou alors c’était moi qui était démuni. Une fleur tropicale découverte au milieu de la garrigue provençale.
– À Bombay, Esther m’a fermé les yeux sur l’impossible, ou quand ce qu’on croyait définitivement oublié ressurgit de façon improbable. Une pièce d’un franc découverte dans un vieux manteau.
– À Paris, Esther a commencé notre voyage, ou le lent apprentissage de l’espace et du temps. Une montre minutieusement démontée pour observer une à une chacune des pièces.
– À Sydney, Esther a tissé la substance de ce qu’il y a entre le rêve et la réalité, ou le tri que l’âge établit avec nos souvenirs. Un pont qui relierait toutes les villes du monde.
– Dans la voiture ou sur un cyclomoteur, un rire, un parfum, un regard.
Portrait de moi :
– Ma vie avec Esther tient de cet état qu’on retrouve au moment même où on se réveille, on ne sait pas trop ce qui appartient à la réalité et ce qui reste du rêve. C’est la même substance.
– Ma vie sans Esther tient de cet état qu’on ressent à l’instant même où on s’endort, une multitude d’images et de pensées défilent devant nos yeux. C’est la même substance.
Photo de Ewelina Karezona Karbowiak sur Unsplash