La campagne vendéenne est creusée de dépressions informes, dépourvues d’horizon, les talus maigres sont taillés au couteau comme au vol craquelé d’un rapace. Par les routes étroites, on se perd à vouloir retrouver les choses de mémoire. C’est leur revanche de bocage dépeuplé, sans haies, uniquement découpé de ruisseaux d’élagage des eaux. La vitalité des larves remonte de ces terres antiques marécageuses. On n’y apprend pas, on tombe, on s’y terre. Les hangars géants gonflent l’hiver de caravanes et de fourgons vides, ocres et flasques, parmi eux des troupeaux de génisses errent en frottant leur ventre lourd, elles ne bêlent pas, à peine ruminantes, sans agressivité pour l’homme qui n’est qu’un point dans le paysage. La boue est large et visqueuse, riche d’engrais et de bouillie rouge. En suivant ses sillons, on découvre des villages de biais, austères et clos. C’est là-bas que je vais voir Adern. Dans son container géant, habitacle américain de seize mètres, il fait pousser ses plantes dans des bacs en bois qu’il a sculptés lui-même, il a aussi taillé le métal pour installer des bouches d’aération. Il dort parfois la nuit et se promet d’y vivre un jour. Le fermier lui réclame rien, et prête pour l’hiver des bottes de foin qui l’isolent un peu du froid. Sous les lampes de croissance, je vois poindre des gouttes d’huile, du cerfeuil, du sauge, du fenouil, des ors noirs, des bateaux de travers, et ses yeux racontent sans dire toute la trajectoire des mains depuis le bouturage jusqu’aux premières cueillettes, le goût qu’il y met, la densité du vert clair mêlé de sable. J’aime immédiatement cet endroit comme un jardin botanique au milieu de la boue. Près des vaches placides, nous prenons une bière debout, mangeons debout, rangeons quelques cartons, et je repars sur la route vers la mer, reculée, lointaine, se vidant par tous les pores. Les courants océaniques se fraient des routes rivales, c’est sidérant, la houle lance les vagues à bâbord, tandis qu’un autre courant presque perpendiculaire croise à armes égales son large rang de vagues. Tout se croise en bouillonnant, comme des baïnes ensorcelées. En son centre, des algues se déguisent en os blancs de seiches. A la surface, les vagues pourfendent le vent glacial de leurs rouleaux contradictoires. Me reste alors à prendre au cœur cette mer philosophique.
Intéressant cet Adern !
Mais oui, c’est une autre vie… les nouveaux emmargés du monde
J’ai beaucoup aimé ce texte chère Françoise. La campagne t’inspire.
Un tout petit voyage vers le jardin d’Adern qui nous parle, qui nous raconte ses plantations avec tendresse
on a envie d’aller lui rendre visite nous aussi
nous aussi, en marge du monde (enfin, je parle pour moi…)
merci Françoise et emmène-moi avec toi l a prochaine fois que tu iras le voir !
Un immense merci chère Françoise pour vos mots qui viennent de si loin si vrai, de ces fragments d’île en pleine terre, perdus dans les champs et qu’on côtoie si souvent en pensée… ce soir m’en vais lire vos déambulations étonnantes !!
C’est beau, c’est vivant, c’est riche, c’est visuel, on commence large, on rétrécit, on le devine à peine lui, plutôt à ce qu’il a créé, et on repart à regret, on voudrait voir en vrai ces courants contraires, ces baïnes ensorcelées… Merci, Françoise, pour ce voyage du matin si net, si réel et non, depuis le fauteuil et y être restée. 🙂