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(les souvenirs comme des diamants et de la rouille (sic Joan Baez))
Je ne me souviens que des platanes – tard le soir, à la fin de la journée – la place le bar les joueurs de canasta – des troncs forts dans les beiges verts pâles presque jaunes (des taches) – le vent presque inexistant – les chaises faites de nylon de couleur – plus des fauteuils – de l’osier, les débuts de soirée, les amis là assis là fatigués de la journée de soleil, les courses dans le sable (pas pour moi), les jeux dans l’eau, plus loin (je ne l’ai su que plus tard) la mère de DF avait installé l’un des premiers clubs de vacances pas encore intitulés du nom de cette mer – vingt ans plus tôt mais c’était l’époque du plein essor – je me souviens aussi de celui de cette île du sud – c’était un autre voyage, c’était une île du sud du pays, mais du nord du continent, ce nord de continent dont on affublait ceux qui en venaient, on parlait aussi de la couleur de leurs pieds – et puis là, on bronzait, pas de crème, je ne me souviens plus des courses qu’on devait faire – je me souviens de ses taches de rousseur oui – je me souviens de l’épicerie, le camping et la tente en igloo, l’orage d’une des nuits et le fait que l’un de nous y avait entré ses chaussures mais pas celles des deux autres, les nôtres – il dormait en le faisant sans doute, ça avait causé une espèce de brisure dans leur amitié – moi je m’en fichais, de mes chaussures, oui elles avaient pris l’eau oui et alors ? ça m’avait fait bien rire – je me moquais un peu de lui, mais je crois surtout de l’autre – mais ça avait une espèce de goût de trahison pour cet autre, le troisième, probablement parce que la tente lui appartenait et que nous étions logés d’une certaine manière grâce à elle – la tente bleue, gonflable, le gonfleur au pied avait la forme d’une demie-sphère, les arceaux, les chiens errants de la nuit, le camping les douches les transistors la chaleur du matin – sur l’île il y avait aussi cette idée des clubs de vacances, les idées délurées et la sexualité débridée libre et sans entraves – avant hier sur le parcours, il y avait ce slogan « tu nous en mets 64 nous on te Mai 68 » – il me semble mais je dois me tromper, il me semble que c’était la même tente – en tout cas c’était le même ami – c’était aussi du camping mais sauvage comme on dit, un endroit quelque part sur la plage sur le côté est de l’île – on aurait pu dormir dans la voiture – une deux-chevaux de chez citroën – décapotable, les fenêtres pivotaient s’ouvrant de la moitié du bas, un petit téton pointu se fichait dans un bout de caoutchouc, pour la garder ouverte, au coin gauche extérieur de la porte mais il se libérait tout seul et la moitié pivotante de la vitre vous heurtait le coude – il y avait alors cette idée de passer le permis de conduire dès que possible, immédiatement indispensable et cette façon d’aujourd’hui de ne pas s’embarrasser de l’embrayage – je suis allé voir les épiceries de cette petite ville, ça ne m’a rien dit – il fallait pourtant bien qu’on mange (ou qu’on mangeât?) – je me souviens de celle d’un bourg (on dit bled) des abords du désert, c’était avant (ou après) l’amphithéâtre qu’il y a dans le sud du pays, ce petit pays comme disait Cesaria quand elle chantait le sien, ses pieds nus, ses « je t’aime beaucoup » – petit pays qui se souvient des guerres puniques, de la conquête de Rome et d’autres choses encore, la justice rendue sous un arbre d’un Louis qui devint saint et y mourut (c’est dans l’autre ordre), je me souviens des Alpes et des éléphants, des ports et du commerce, du magasin Juvénal – on devait faire passer les roues de la voiture dans des ornières de fer, remplies d’une espèce de liquide, désinfectant, pour gagner cette bataille contre le choléra et dans les faubourgs de Naples toutes les poubelles en flammes – cette épicerie d’où sortait un type qui tenait une assiette en main, un morceau de pain cette huile épaisse dans l’assiette, enturbanné, de nombreuses couches de tissu grège le couvraient, sable, aujourd’hui il me paraît vieux, mais sur l’image il n’a pas quarante ans, le sandwich était aux haricots blancs et le soleil, toujours, sacré ou satané – non il n’y a pas d’image, je ne sais même plus la gare, je ne sais plus l’avion de retour non plus que les amoureuses d’alors – ce n’était qu’un petit moment d’oubli, mais tout était resté en l’état, on avait à revenir sur le continent, à refaire encore le même trajet, se souvenir que oui, des examens, des cours à suivre, une vie à faire un avenir sans lui, à présent, même si j’avais un peu gommé sa disparition, orphelin c’était là, et entreprendre alors quelque chose les sciences et la mécanique, et l’automobile sur le ferry qui escalait en Sicile – ça ne se dit pas – en fin d’après-midi, il y avait là Palerme, ses hôtels blancs et jaunes, au loin et l’argent qui manquait, les pâtes à la sauce tomate directement de la boite sur le réchaud minuscule (je me souviens de celui de ma tante, encore plus minuscule, dans sa chambre quinze ou trente-cinq qu’elle me prêterait plus tard, lorsque j’irai passer le concours de Vaugirard et le bruit des autos sur le quai toute la nuit durant) mais pas sur le bateau – chercher à manger, le conducteur échangeant un chèque contre de la monnaie auprès d’un couple allemand – et les pâtes à la sauce tomate cuisinée plat le moins cher du self du bateau mais les macaronis les meilleures du monde – le passage à la banque de l’avenue de France et celui chez cet oncle qui vivait encore là-bas (comme on dit) dans son salon, les arcs au plafond, tout blanc, orné de plateaux brillants de cuivre ouvragés des souks, les petites bouteilles de tonic comme au café et lui et son sourire, lui à qui je n’avais rien à dire et qui aurait pu tant m’en dire, mention de lui dans le cahier, la section française de l’internationale ouvrière, lui son frère son neveu – ici là-bas ailleurs : qu’est-ce que ça change ? et je regarde les taches qui sur mes mains sont apparues
ton texte m’a ramené à un voyage raté vers la Sicile jamais atteinte. Merci.
les arbres se sont des platanes et comme ils sont nos amis on peut les peler et ça fait des taches… (faut pas trop être vu quand on le fait)
j’aime le » tu nous en mets 64 nous on te Mai 68 » mais en fait de vie débridée (sauf la parole, ça c’était un régal dans les rues du quartier) j’ai surtout le souvenir d’avoir été préposé au service d’ordre, une fois ou deux et puis des chemises qu’on voulait que je repasse ce que j’étais en peine de faire… mais il y a eu l’après et la fuite des villes et une communauté que je rejoignais en fin de semaine quand on cuvait nos déceptions