Des villes pour Mira
Viens Mira, viens t’asseoir avec moi dans le jardin près des roses rouges et blanches, celles qui sentent si bon la cannelle, viens que je te raconte des voyages surprise dans des villes que tu aimerais visiter…
Dans la première ville que je te présente, Frigostatt, il faisait très froid, les rues étaient devenues des patinoires, l’eau du fleuve était gelée, la bise était glaciale, mais la ville était chaleureuse. Noël approchait et partout c’était la fête, dans les églises aux coupoles cuivrées les lumières brillaient, les bougies scintillaient, l’odeur de cire et d’encens m’enveloppait. Dehors sur les places nombreuses, les sapins clignotaient, les marchés s’alignaient, ça sentait bon les sucres et les beignets, le chocolat et le vin chaud, il y avait tant de monde, les gens chantaient, riaient et je montais sur les toits des églises pour voir les lumières en bas et les étoiles dans le ciel
La prochaine ville, Musicalia, résonnait du matin au soir. La musique tombait dans les rues comme la pluie, le vent portait les notes à travers la ville, il y avait la musique des salles de concert, celle des théâtres et des opéras, la saison des valses dans des palais illuminés, il y avait des quartiers pour les flûtes, pour les guitares, pour l’accordéon, des pianos posés aux coins des rues invitant les pianistes à jouer, des mélodies s’envolant comme des brises légères, des accords puissants imitant l’orage et la tempête. Et dans les faubourgs couverts de vignobles, les gens dansaient au son de la cithare
La troisième ville, Bibliograd, était dédiée aux livres, il y avait des bibliothèques anciennes aux salles de marbre, avec de hautes vitrines remplies d’éditions précieuses, des archives aux relents de poussière, des librairies modernes pleines d’étagères, de canapés, de tapis moelleux, on avait le droit de piocher dans les rangées de livres, de se poser ou se coucher avec un livre à lire jusqu’à plus soif, ces librairies ne fermaient jamais, on pouvait emprunter, emporter, ramener ou redonner, les livres étaient à tout le monde, une ville où les gens lisaient jour et nuit, déclamaient, échangeaient, écrivaient
Tu m’as raconté un jour qu’il y avait aussi des bibliothèques dans le sable et le vent, des livres anciens gardés par un vieux monsieur aux gants blancs qui te chantait de vieux airs, des mélopées d’autrefois, et qui défendait qu’on prenne des photos…
Après j’ai vu une ville appelée Filacca, située au bord de la mer, traversée par des rivières et des canaux, de l’eau partout, des ponts partout, en bois, en pierre, en fer, et l’eau coulait, et montait plus haut que les rives, arrosant les rues et les places, et les bateaux tanguaient, les pêcheurs perdaient leurs fils de pêches, les enfants aux cerfs-volants s’envolaient sur l’eau, la ville était une gigantesque toile d’araignée ruisselante liquide, réseau fluide aux tentacules filaires sinueux envahissants
J’ai aussi aperçu une ville qui était toute en poussière, les maisons étaient cassées, en ruine, les rues étaient pleines de bruit, d’odeur de poudre, je ne voyais personne, les gens étaient partis, ou se cachaient sous terre, le ciel était rempli d’éclairs, de cris, de sirènes, la ville était désespérée… elle n’avait même plus de nom…il y a aussi des villes malheureuses…
J’aimerais partir au-dessus des nuages, tu crois qu’il y a une jolie ville là-haut ?
Je ne sais pas, Mira, j’ai traversé les nuages en avion, mais c’est trop rapide, il faudrait monter avec un ballon ou avec un tapis volant comme dans tes histoires…
On appellerait notre ville des nuages Wolkenschloss, un château de nuages blancs aux tours épais en cumulus, aux portes d’arc en ciel, aux lumières de soleil et de lune, aux éclairs de feu en zig-zag, aux odeurs de pluie et d’orage, aux couchers de soleil roses et bleus, on flotterait, on glisserait…
Oh oui, on ferait du toboggan…mais finalement, je préfère une vraie ville avec de vrais manèges…
De vraies villes à vivre avec des gens qui deviendraient des amis, avec des rues où promener, avec des cafés et des restaurants aux odeurs alléchantes, avec des choses à faire qu’on ne pourrait pas faire chez soi… découverte, aventure, beauté, détente, parfois une nouvelle vie…
Jolie variation sur le thème de Calvino. Le dernier paragraphe fait brusquement retomber sur terre.
Merci pour ce commentaire sympa. Pour le dernier paragraphe, tomber dans la réalité est-ce gênante ici? ou juste une fin évaluant le pourquoi des voyages que je pensais devoir « appliquer »?
Je ne sais pas si c’est gênant ou pas, j’ai juste eu cette sensation d’être dans une invention si haute à travers toutes ces villes, qu’elle monte jusque dans les nuages, et d’un seul coup me retrouver dans un univers que je crois connaître, mais peut-être cette « vraie ville avec des gens qui deviendraient des amis etc » est-elle le plus utopique de toutes, puisque, à la relire, je vois des choses « qu’on ne pourrait pas faire chez soi ».
Merci pour la précision. J’y réfléchirai, peut-être rupture inutile, ellipse pour faire une conclusion au lieu de laisser glisser…