#7 Un tout petit voyage
Chez nous c’est vers le Sud ou vers le Nord. Surtout le Sud. Le vent vient de l’Ouest, nous le laissons souffler et se briser sur l’immeuble posé en travers de sa route. Enfants, debout à l’angle de l’escalier 1, nous nous posons sur le vent, bras ouverts, comme les grands oiseaux blancs sur l’affiche du mur de l’école.
Mais à part le vent qui vient jusqu’à nous, nous n’allons pas à l’ouest. Quant à l’est, il n’existe pas encore. Non. Nous c’est le Sud ou bien le Nord. Surtout le Sud. C’est pratique, on habite près de la Nationale 7. Parents déracinés en région parisienne. La famille est restée au pays, un pays circonscrit au pied du Suc d’Eyme, entre le Puy en Velay, Coubon, Saint Didier la Seauve, Sainte Sigolène, Bessamorel, Yssingeaux, Saint Julien du Pinet, Rosières, Retournac, Vaunac.
En train un week-end sur deux, c’est le grand départ vers les origines. Un père cheminot, quatre permis rose et hop, le train de banlieue gris métallique nous amène à Paris gare de Lyon et là, transfert dans le train de nuit, wagon à 6 couchettes, couverture grise râpeuse,« je voudrais tant dormir en haut ! », en route vers le sud. Les draps blancs sont traversés d’une bande bleue : SNCF SNCF SNCF SNCF… La musique des mots accompagne le roulement des wagons sur les rails. Coups de sifflet répétés, une voix forte annonce chaque arrêt, les noms des gares s’égrènent comme des poèmes, tous oubliés, dommage, et les rideaux plissés et poussiéreux ballottent aux fenêtres laissant danser des raies de lumière sur les parois obscures du compartiment, avant que le train ne reparte après un ultime coup de sifflet et de nouveau le noir et de nouveau le roulement sur les rails.
Il faut une nuit pour rejoindre Le Puy. C’est rapide, dit papa. En comptant la Micheline ou le bus poussif. A l’arrivée les cousins nous attendent, tous alignés, avec des mines de conspirateurs. On se regarde un peu étonnés de se reconnaître après ces deux semaines passées loin les uns des autres. Nous qui vivons au bout du monde, à la capitale comme ils disent, ou c’est tout comme, nous risquons de devenir différents, c’est forcé, d’ailleurs nous parlons «pointu » et un jour, peut-être qu’en arrivant on se découvrira tout à fait étrangers. La mémé soupire d’aise : le bon air va faire du bien aux petits. Docile, j’ouvre la bouche pour avaler le bon air sans toutefois sentir la différence entre ce que je respire ici et là où je vis.
Un jour papa achète une voiture. Une ondine gris métallisé. Je ne sais pas comment elle a atterri sur le grand parking au pied de l’immeuble. Comme papa n’a pas encore son permis, chaque soir nous allons nous asseoir dans la voiture, les enfants sur la banquette arrière rouge. Papa fait ronfler le moteur en faisant semblant de tourner le volant et à l’arrière nous basculons, ravis, de droite et de gauche, en poussant de petits cris.
Premier trajet en voiture, ça y est. On part, c’est une aventure. La route est tellement longue qu’il faut nous arrêter en chemin chez des amis à Moulin qui nous hébergent pour la nuit.
La nationale 7 n’en finit pas de filer vers le Sud. Passé Saint-Etienne, c’est la grande côte qui laisse sur la gauche Saint Didier et Sainte Sigolène où le pépé est enterré. Puis ce sont des petites départementales qui serpentent entre les sucs. Regarde la route, dit maman qui anticipe mon mal au coeur. Le long de la chaussée sinueuse des plots blancs surmontés d’une tête rouge suivent les courbes du tracé. C’est le signal, nous sommes presqu’arrivés. Nous chantons à tue-tête : les cigarettes, les cigarettes, les ci ! les cigarettes… Quand la ligne de plots s’arrête, nous nous arrêtons de chanter, quand elle repart nous reprenons de plus belle, à la syllabe près, là où nous nous sommes arrêtés. Après le Pont de Bessamorel et la traversée d’Yssingeaux, les plots s’affinent mais toujours en blanc et rouge. Nous repartons avec notre chanson en la transformant au regard de l’épaisseur des plots dressés comme des brindilles sur le bord de la route : les allumettes, les allumettes les a ! les allumettes… Puis on enjambe le Ramel, la silhouette massive du suc d’Eyme se dessine sur le bleu du ciel . Enfant je croyais que le suc d’Eyme s’écrivait Aime. Quand j’ai découvert la vérité, c’est comme si quelque chose m’avait été volé.
Plus je grandis, plus le trajet raccourcit. Bientôt, plus besoin de s’arrêter à Moulin. La route se fait en une journée ou en une nuit, car papa aime conduire la nuit. Il prend un cachet qui lui dilate les pupilles pour mieux voir dans le noir et ne pas s’endormir. On dirait un hibou avec ses sourcils broussailleux. J’aime ces voyages où je flotte entre veille et sommeil, bercée par le ronronnement du moteur, balayée par les lumières que l’on croise suivies de plongées dans l’obscurité.
Enfin, arrive l’autoroute A6. Toujours vers le Sud. C’est encore plus rapide. A présent je connais la rose des vents et le chemin que fait le soleil. Chaque chose est à sa place et je sais enfin où est ma droite et ma gauche. Parce que pendant un temps, j’étais perdue. On m’avait expliqué, quand j’étais en classe assise face au bureau, que la droite se trouvait du côté du couloir vitré et la gauche du côté des fenêtres ouvertes sur la cour de récré. Tout allait bien jusqu’au jour où je suis montée sur l’estrade, dos au tableau, face à la classe et que la droite et la gauche ont brusquement changé de place sans que je comprenne pourquoi.
Parfois, on roule vers le Nord, direction Paris. C’est plus rare. On s’arrête à Orly. C’est la sortie du dimanche. Celle que l’on fait les jours de fête, d’anniversaire ou quand parfois, mais c’est exceptionnel, un membre de la famille vient nous rendre visite. On monte sur la terrasse ouverte au public pour regarder les avions atterrir et décoller. Avec une pièce glissée dans le télescope on peut même les voir de près.
Le dimanche soir aussi, on monte au 12ème étage chez les parents d’Emmanuelle qui est partie pour trois ans à Kourou en Guyanne où son père construit des fusées, pour regarder le ruban de lumières du gigantesque bouchon des retours de week-end ou de vacances sur l’autoroute A6. C’est très beau. J’aime me trouver là, dans une maison étrangère vide de ses habitants, front collé contre la vitre froide, vigie immobile en haut de l’immeuble, les regardant, eux tous assis, au loin là-bas, qui reviennent d’ailleurs, du sud forcément, ils tracent vers le nord jusqu’à Paris au moins, car après je ne sais pas encore ce qui se trouve derrière, à part la Seine, bien sûr, que j’ai observée à l’école sur la carte de France, qui file avec ses méandres direction plein ouest comme un serpent bleu, elle avance jusqu’aux vagues de l’océan.
Et puis vient la fin du périple. Vider la maison où les parents se sont installés à la retraite, avant qu’elle ne soit vendue. Dire adieu au portail massif de la propriété familiale. Adieu le petit bois et le ruisseau. Adieu la cabane et les deux bassins en pierre, celui des poissons rouges et celui des enfants. Adieu le potager, le verger, le pigeonnier, la table ronde, l’allée des tilleuls et sa tonnelle, la grange remplie de foin de la tata Marie, le puits de la sorcière, l’écurie et les vaches de l’oncle Pierre, les ruines du vieux château qui a brûlé et sous les ruines les caves voûtées avec les chauve-souris. Adieu les coins aux champignons que papa voulait me transmettre et que je n’ai jamais réussi à mémoriser. Les oncles et les tantes sont morts. Mémé aussi. Les cousins sont devenus des étrangers. Seul le Suc d’Eyme reste immuable, toujours à sa place.
Lors du dernier trajet, j’emporte avec moi sa silhouette massive que je saurais reconnaître entre 1000 et que je peux retracer au millimètre près la nuit, quand je ne dors pas et que je remets mes pas sur la route des origines.
#6 Littorals
Génèse
Enfant, habiter un immeuble paquebot sur les coteaux de la Seine. Imaginer le vent d’ouest chargé d’embruns qui remonte de l’océan. Ouvrir la bouche pour le goûter.
Au lycée, observer les chantiers de construction qui transforment le village en ville nouvelle. Réciter Eluard : … Et les grues qui se vantent de voir au loin les vagues…
Sécher les cours. Courir à deux, main dans la main pour rejoindre les rives de la Seine. Regarder passer les péniches, franchir l’écluse ou pêcher des écrevisses. Les mariniers agitent la main : Salut les amoureux. Rêver d’un ailleurs plein de mers et d’océans sans savoir que le plus beau voyage se vit à cet instant.
Partir
Partir pour se laver la tête comme on dit, chercher des ébouriffements et boire l’eau des océans partout (Atlantique, Pacifique, Arctique, Indien…) et l’eau de toutes les mers rencontrées (Méditerranée, Egée, mer Morte, mer Rouge, de Chine…). Chacune a sa température mais c’est toujours le même goût, s’en émerveiller, sauf la mer morte bien sûr, celle-là carrément imbuvable.
Mais qui donc a écrit : …La mer, notre mère à tous…
Cadeau
Parfois un voyage dans le voyage. Avec un masque et un tuba, découvrir l’autre côté de la terre au-dessous du niveau zéro. Danser, légère.
Réciter Eluard (encore) : …Les poissons, les nageurs, les bateaux transforment l’eau / L’eau est douce et ne bouge que pour ceux qui la touchent / Le poisson avance comme un doigt dans un gant, le nageur danse lentement et la voile respire…
Entre deux
Où se trouve l’origine du monde ?
Hémisphère nord ou hémisphère sud ?
Transpirer ou grelotter ?
Bleu ou gris ?
Blanc ou nuit ?
Cartographier les territoires de poésie ?
Goûter la mer ou bien le ciel ?
Sirènes ou fées ?
Lave ou miel ?
Sable noir ou clair ?
Tu préfères un lit dans les étoiles ou sous un glacier ?
Tu veux une île ou une presqu’île ?
Faille sismique ou tectonique ?
Tu veux mentir ou te noyer ?
Marcher sur l’eau ou te diluer ?
Te fondre ou te retrouver ?
Réciter Michaux : … Je vous écris d’un pays lointain…
Sud
#1 La nuit d’avant
Cette nuit-là, elle s’est couchée tard parce qu’elle sait qu’elle ne va pas beaucoup dormir voire pas du tout et allongée dans l’obscurité, elle pense au temps de l’attente avant le départ et plus elle y pense plus le temps s’étire et elle ne sait pas si c’est insupportable ou délicieux tandis que le coucou, lui, bat son rythme régulier, mais comment fait-il celui-là, quand on connaît l’impermanence du temps qui ne coule pas, comme l’explique Michel Serres, mais qui percole et ses pieds s’agitent sous la couette à l’aube de ce voyage dans ce pays qu’elle aime tant et tant de lieux à découvrir encore, même si elle s’y est rendue plusieurs fois en train et en avion mais aussi en voiture et en bateau et c’est cette dernière façon de voyager qu’elle préfère même si c’est plus long, moins confortable mais quel bonheur d’approcher Igoumenitsa, accrochée à la rambarde métallique du bateau, humant l’air à la recherche de l’odeur de la Grèce qui, elle le sait, sent le gasoil et le tarama et c’est ce qu’elle va faire demain, ce long voyage en voiture jusqu’à Venise, traverser la France mais toujours à l’idée de prendre la route en voiture, ce pincement d’inquiétude depuis cet accident, il y a longtemps sur la route de l’ex Yougoslavie, une nuit, trop d’heures de conduite et le chauffeur s’était endormi, rien de grave et elle ne veut pas y penser toute à la joie de ce départ, alors elle se projette à Venise où elle sera dans deux jours pour monter dans le Ferry et rejoindre Patras avec ce souci des routes à prendre et de celles infiniment plus nombreuses qu’elle ne prendra pas et c’est toujours un miracle, pense-t-elle, d’arriver là où on a prévu, quand les routes sont si nombreuses et le monde si grand mais soudain, le vent fait claquer le volet de l’entrée, sûrement mal accroché comme cela arrive parfois, alors elle se lève dans le noir et pense à la température du monde et combien elle va transpirer dans quatre jours, sans doute sera-t-elle à Galaxidi avec le projet d’atteindre Thessalonique, peut-être même la frontière turque, ce n’est pas elle qui s’est occupée de l’itinéraire, c’est vrai qu’elle se laisse porter comme souvent lorsqu’il s’agit de vacances, mais ce qu’elle sait en revanche, c’est qu’elle aura chaud bientôt, avec la transpiration qui perle au-dessus des lèvres et ce bonheur de se glisser dans l’eau pour se rafraîchir avec masque palme et tuba et nager à la rencontre de la face cachée de la Grèce, oui elle aura chaud, pense-t-elle en frissonnant tout en traversant la maison et bien sûr, cette mise en mouvement du corps dans la nuit, la veille du départ, la ramène à d’autres pas lorsqu’elle foulait cette terre sèche et caillouteuse, gorgée de soleil et la rapproche un peu plus encore, semble-t-il, de sa destination prochaine, ou plutôt le souhaite-t-elle, tandis que le temps ralentit à présent, ça commence à bien faire cette nuit qui n’en finit pas et ce coucou qui se traîne lamentablement alors elle accélère le pas comme elle le fait parfois dans les trains lorsque le voyage s’éternise et qu’elle a le sentiment qu’à marcher vivement d’un bout à l’autre de la rame, le train arrivera plus vite.
#2 L’arrivée
Le voyage n’en finit pas de finir depuis que nous avons embarqué pour cette dernière étape sur un bateau à moteur pour rejoindre l’Ile, peut être un bateau de pêche aménagé pour répondre à la demande touristique, avec un espace voyageur fermé où nous nous sommes assis les uns derrière les autres, en rang par deux, sur des banquettes en bois arrimées au plancher tandis qu’un homme bougon passe en articulant des mots incompréhensibles pour réclamer le prix de la traversée, inconnu de nous et ce n’est pas faute d’avoir demandé, mais nous n’avons pas obtenu de réponse ce qui nous inquiète car notre budget est extrêmement limité, privilège de la jeunesse – j’ai encore mes longues nattes brunes et tes cheveux dorés atteignent tes épaules toi qui aujourd’hui te rase le crâne – nous sommes donc très attentifs au tarif demandé à chaque passager dans un anglais approximatif accompagné de mots aux sonorités inconnues car cette langue m’est étrangère et ne ressemble à rien de ce que nous connaissons, même si ce pays m’a toujours paru familier et qu’aujourd’hui après une multitude de voyages là-bas je le connais sans doute mieux que la France, un comble, même si je ne parle toujours pas la langue, à part quelques mots comme kalimera, kalinikta, efkaristo, parakalo… et tandis que l’homme distribue des tickets qui ne sont que des bouts de papier jauni qu’il déchire à la hâte en échange de pièces et de billets, nous l’écoutons énoncer ses tarifs qui grimpent au fur et à mesure qu’il se rapproche de nous et nous comprenons que les prix fluctuent en fonction de la nationalité des passagers : espagnols, hollandais, anglais, allemands, américains et nous nous recroquevillons intérieurement car il n’est pas possible pour nous de rivaliser avec les tarifs énoncés et certainement pas avec celui des américains, mais déjà il est là devant nous, visage buriné par la mer, cheveux bruns et drus en bataille, il demande : français ? Nous acquiesçons en nous demandant ce qu’ils peuvent bien faire des passagers qui n’ont pas de quoi payer car nous sommes à présent en pleine mer et la houle augmente et l’homme écarte un peu les jambes et fléchit les genoux pour rester stable puis il lance un prix qui correspond au 20ème demandé aux américains, au 10ème demandé aux allemands, etc. et soulagés, nous achetons nos précieux tickets, tandis que derrière nous une famille grecque paie à 4 le quart de ce que avons payé à 2 et que le bateau à présent frappe les vagues et tangue de plus en plus fort et le personnel de bord devient tout à coup fébrile – pas assez de gilets de sauvetage – tandis que les passagers s’agitent et je pâlis d’un coup le ventre retourné, alors tu m’attrapes la main fermement et tu m’emmènes à l’arrière du bateau sur un minuscule pont ouvert rempli de cordages, balayé par des vagues puissantes, si bien que tu nous arrimes à ce pont pour que nous ne puissions pas tomber à l’eau et serrés l’un contre l’autre, trempés, le froid nous gagne peu à peu, l’horizon a disparu derrière des montagnes d’écume et nous ne faisons qu’un avec cette coque de noix qui semble se renverser à chaque nouvelle poussée – pourtant au-dessus de nous je crois me souvenir que le ciel est bleu – et ce n’est ni un cauchemar ni un sentiment de drame imminent mais un moment hors du temps où la sensation éprouvée prend le pas sur la pensée, juste respirer entre deux giclées d’eau salée et se tenir malgré les doigts gelés dans une mer qui déborde jusqu’au ciel et cela n’en finit pas jusqu’à ce que soudain tout s’arrête et que l’odeur d’une terre chaude et parfumée au mazout, à la poussière et à l’origan nous saisisse et déjà le bateau se rapproche du quai, et de la taverne en face du tout petit embarcadère montent des sons de bouzouki et les poulpes sèchent sur un fil au soleil, alors nous basculons rincés et défaits sur un sol qui fuit encore sous nos pieds dans cet univers de carte postale bleu et blanc, écrasés que nous sommes par la lumière, avec en arrière-plan des collines de cailloux aux chants de cigale émaillées de cyprès candélabres où bientôt, nous transpirerons.
Quelque part
Pourquoi aurait-il fallu il arriver quelque part ? dans une ville ? un village ? un hameau ? quand ce voyage n’était constitué que de départs sur des routes poussiéreuses avec dans chaque virage des ex-voto devant lesquels hommes et femmes se signaient et des pistes accidentées et caillouteuses bordées d’arbres familiers : tamaris, oliviers, amandiers, cyprès, figuiers et parfois un grand platane où faire la sieste près d’une source à l’eau glacée, ressource précieuse ici où la terre est si sèche et où les maisons en construction, blocs de béton bardés de tiges métalliques n’en finissent pas de se construire avec parfois au bout d’un chemin terreux la surprise d’une autoroute en construction sur laquelle un vieil homme vêtu de noir promène un mouton en laisse et le bitume fume tant il fait chaud et des cigognes bâtissent leurs nids sur des poteaux électriques jusque dans la plaine de Thrace où, au milieu de nulle part, une barque noire posée sur le bord de la route loin de la mer attend que l’eau monte ; ça sent le thym et la marjolaine et la terre transpire de chaleur alors pourquoi aurait-il fallu arriver quelque part ? Et certainement pas dans une chambre – Zimmer frei – quand il suffit de faire son lit sous les étoiles avec le vertige, cette sensation de tomber dans l’immensité du ciel traversé d’étoiles filantes et interdit de s’endormir avant d’en avoir compté au moins dix mais le sommeil vient toujours trop tôt pour moi qui suis pourtant une grande insomniaque, ce qui prouve que ce pays ne m’a jamais été étranger, même la première fois, alors que l’écriture, la langue me sont encore inconnues ou peut-être est-ce moi qui à peine débarquée là-bas devient une autre.
#3 L’impossible retour
… et toujours on me retenait. Tous les bateaux étaient sortis en mer. On m’avait laissée sur cette terrasse de marbre blanc au sommet de la colline.
… et toujours on me retenait. En bas, les habitants formaient une file qui s’étirait sur le sentier de la falaise au-dessus de l’eau turquoise. Et les habitants ne savaient que murmurer et faire des signes de croix.
Il fallait les voir avancer au plus près, ne pas se tromper de pied pour ne pas glisser de peur de la rejoindre, elle, la fracassée sur les rochers en contrebas.
Il fallait, au-delà des têtes alignées et des cous tordus, dessiner une ligne parfaite pour tenter d’approcher le plus possible et se pencher au dessus du vide pour mieux voir.
Les habitants étaient curieux, ils étaient extrêmement curieux. Il n’y avait pas d’interdiction pour eux, pas de rentrez chez vous pour ces habitants-là, mais des yeux qui fouillaient la faille obscure entre les blocs de rochers à la recherche du corps.
Ils se multipliaient les habitants entre les pins et je ne pouvais imaginer, qui des troncs, qui des hommes, qui des femmes et même qui des enfants s’étaient rendus là en masse, attirés par le drame. Leur chair se confondait avec le sol et peut-être même, comme les arbres tordus, allaient-ils prendre racine.
Il fallait sans quitter ma place sur la terrasse qui surplombait la scène ne pas basculer dans cette peine immense qui me submergeait. Mais pourquoi ? Mais comment ?
Peut-être aurait-il fallu envoyer quelqu’un pour se renseigner, prendre des nouvelles, même si bien sûr, c’était trop tard, mais j’étais seule pour veiller sur l’enfant endormie, les autres étaient partis alors qu’il faisait encore nuit et une vieille dame était montée jusqu’ici m’offrir un panier de figues. Elle m’avait fait comprendre dans sa langue que je ne parlais pas – mais avais-je bien compris ? – qu’une femme s’était jetée ? était tombée ? de la falaise au petit jour. Avant de repartir, elle avait ri en faisant le signe de se trancher la gorge, puis elle avait mimé quelqu’un qui se pend.
Les habitants étaient cruels sur cette île ou blasés ou résignés – ils en avaient vu d’autre – et le rire de cette vieille accompagné de ses gestes obscènes m’avait laissée sans voix. Pourtant je lui avais souri pour la remercier en montrant le panier de figues et elle s’en était retournée rejoindre la file des habitants en bas, sur le sentier de la falaise et sans doute partager avec eux quelques signes de croix.
Les habitants ne débordaient pas de compassion ici et mon sourire s’était mué en grimace quand la vieille femme avait disparu à l’angle de la maison et je m’étais détournée de la scène un court instant pour regarder, derrière le voilage, le corps de l’enfant abandonnée au sommeil, ses cheveux collés sur la nuque tant il faisait chaud déjà, malgré l’heure matinale.
Il fallait pourtant que j’y revienne à ce drame en contrebas, comme si j’avais dû veiller du haut de la colline, veiller cette femme morte et soudain je pensais à tous mes morts, proches ou lointains et voilà qu’ils me rejoignaient. Mais je fermais mon cœur à leur présence. C’était sa mort à elle, son accident ou son choix, c’était à elle que je devais penser, rien qu’à elle. Peut-être que je lui devais ça sans que je sache même pourquoi.
… et toujours on me retenait et je me retrouvais coincée entre la beauté du monde et la laideur de ce qui s’était passé, se passait, en bas, avec le chagrin incommensurable de cette femme, celui qui l’avait poussé à commettre l’irréparable ou peut-être plus simplement son imprudence à quitter le sentier dans le jour naissant. Mais aussi pourquoi était-elle venue sur ce sentier à une heure pareille ? Un sentier qui au fond n’avait rien de remarquable et qui était dangereux, les habitants le disaient tous et elle, qui vivait là, le savait forcément.
… et toujours on me retenait, l’enfant, le drame dont je n’arrivais pas à détourner les yeux alors que j’aurais pu aller m’allonger près de l’enfant, respirer avec elle et peut-être me rendormir apaisée, ou bien choisir de me glisser sous la douche pour me rafraîchir ou encore faire un café et le boire à petites gorgées à l’ombre du bougainvillier en fleurs. Et je me demandais ce qui me retenait là malgré cette envie de partir, de porter le corps de la petite dans mes bras jusqu’à la voiture, de gagner le port et de quitter l’île au plus vite et tant pis pour les autres. Mais la voiture n’était plus là, les bateaux étaient sortis, et pour être honnête, c’est la pensée de cette femme morte me retenait. Elle m’empêchait de fuir, comme si, tant que son corps n’aurait pas été ramené au village, rendu à ceux qui l’aimaient – et pourvu que quelqu’un l’ai aimé, l’aime – je me devais de rester sur la terrasse pour veiller. Bien sûr que je ne la connaissais pas, mais c’est comme si j’avais su quelque chose d’elle qui, à mon insu, m’obligeait à rester immobile, à scruter la scène, comme une vigie.
Les habitants étaient patients, en plein soleil, derrière les pins ils attendaient. Il fallait être l’habitant pour endurer cette chaleur quand ils auraient pu gagner l’ombre des arbres. Mais certains portaient des chapeaux, d’autres des foulards et même tête nue, pas un seul ne laissait sa place dans la file. Et la file s’était encore allongée. Le parfum de la nuit s’estompait, la lumière vibrait et les cigales avaient commencé leur chant strident. Sous la terrasse, dans la poussière sèche, des chats maigres à faire peur faisaient leur toilette.
… et toujours on me retenait, les autres n’étaient pas encore rentrés, ils étaient en retard. Ils étaient partis en voiture, tandis que l’enfant dormait, pour voir le lever du soleil à l’autre bout de l’île pendant que de ce côté-ci la femme tombait.
Les habitants, leurs maisons étaient blanches et leur cœur sombre. Pourtant ils n’étaient pas mauvais non plus. Au moins étaient-ils présents, arrivés trop tard certes, mais présents, attendant que la police, les pompiers fassent leur travail. Peut-être même qu’ils veillaient comme moi sur elle, peut-être que je les avais mal jugés.
La file n’avançait pas, mais comment aurait-elle pu avancer puisqu’à son extrémité c’était le vide.
Ce soir les bateaux rentreraient au port et comment rester sur cette île après. Je voulais retrouver le rire de l’enfant qui saute dans les vagues. Retrouver la douceur du soir avec un verre de retsina bien frais. Retrouver l’insouciance. Loin.
… et toujours on me retenait.
#4 La halte
C’est un minuscule village, tout juste un hameau composé de quelques maisons et pour s’y rendre il faut traverser des montagnes desséchées avec des à pic impressionnants et le bus est obligé de mordre régulièrement le bord de la chaussée pour passer, voilà pourquoi l’homme assis devant moi se signe à chaque virage, ce qui pourrait être drôle si ce n’était si effrayant, jusqu’à ce que le bus, enfin, après une dernière descente vertigineuse où les corps luttent pour ne pas basculer vers l’avant, arrive au bout de la route, là où le bitume s’arrête au ras de la mer, alors nous gagnons la seule taverne du village qui propose un menu unique : maquereaux grillés et frites, accompagnés d’un vin résiné curieux conservé en plein soleil dans de grosses bonbonnes en plastique coloré. C’est la taverne de Barracuda, un homme broussailleux et immense, taillé sur le modèle de l’ogre dans le livre jeunesse «Monsieur l’ogre et la rainette » de Grégoire Solotareff , qui découpe les frites à la hachette dans de grosses pommes de terre que sa mère, une toute petite femme vêtue de noir, lui apporte une à une et cela dure longtemps, voilà pourquoi le repas chez Barracuda est une institution où les maquereaux grillés sont toujours avalés bien avant que les frites ne soient prêtes et la taille de la portion de frites varie en fonction de l’élan du cuisinier qui parfois jette l’éponge et va faire la sieste, ce qui explique sans doute le montant de l’addition qui diffère à chaque repas alors que nous mangeons toujours la même chose puisqu’il n’y a pas d’autre choix, et comme il n’y a plus qu’une seule chambre à louer dans ce hameau et pas de bus avant 3 jours, nous la prenons car pas moyen de dormir sur la plage qui se réduit à un minuscule ponton et dans le lit 2 places nous dormons à 4 dans le sens de la largeur en riant beaucoup avant de fermer les yeux, sans doute parce que la mère de Barracuda, lorsque son fils a abandonné la cuisine, remplit à nouveau à ras bord la bouteille en plastique de 1 l avec le vin tiré des bonbonnes et nous l’apporte en cadeau.
# 5 Le rendez-vous
Station de taxis Epidavros Panos
J’ai pris le taxi à Nauplie pour rejoindre Epidavros Panos au bord du Golfe Saronique. Là, tu m’attends. Je partage la course avec un jeune couple allemand. La suspension du taxi est défaillante, pas de clim, mais les vitres de la voiture poussiéreuse sont grandes ouvertes. Devant nous, le camion «Pacton» transporte un chargement de pêches. L’air se charge de senteurs douces et sucrées.
Fast food marine
Après avoir quitté la station de taxis, je continue à pied sur la route en pente. Cinq marches au-dessus du virage en épingle à cheveux, je découvre le Fast food marine. Tu m’as raconté que nous mangerions ici ce soir, après nous être retrouvés. Je pensais qu’avec un nom pareil nous allions nous régaler de poissons frais, mais non. Visiblement, ce petit troquet qui ne paie pas de mine ne propose que des Gyrospitas.
Port de Plaisance
A gauche, face à la mer, l’Hôtel Mike vient d’être repeint. Quant au port de plaisance, c’est juste un quai abrité par quelques rochers où une dizaine de petits bateaux se balancent, tranquilles. Plus loin des jeux d’enfants colorés où pour un euro, il est possible de chevaucher Dumbo l’éléphant volant sous le ciel bleu de Grèce, accompagné d’une musique entêtante qui me poursuit jusqu’à la banque.
ATM Pyrée bank
Par la baie vitrée qui donne sur la rue, j’observe l’unique caissière, vêtue de noir (même ses cheveux sont noirs). Elle ne sourit pas. Elle a l’œil féroce et reste debout derrière sa caisse en jetant des regards (noirs bien sûr) aux clients qui défilent devant elle.
Petit théâtre de l’ancienne cité d’Epidaure
J’avais du mal à te croire mais il existe vraiment ce petit théâtre près de la mer, dans l’ancienne cité d’Epidaure. Je connaissais le grand théâtre antique d’Epidaure, celui que l’on visite et dont on vante l’acoustique. Il est creusé là-haut dans la montagne. J’y ai vu des merveilles et même sans parler la langue – je lis les traductions en français des pièces proposées en me renseignant en amont sur la programmation – j’ai été plus d’une fois bouleversée par ce que j’y ai vu. Le moment que je préfère c’est celui où les 12000 spectateurs attendent ensemble que le soleil se couche, au loin, derrière la scène. Alors les comédiens, solennels, sortent de l’ombre ; ils glissent entre les arbres, viennent se mettre en place et le spectacle peut commencer. Mais ce petit théâtre de l’ancienne cité d’Epidaure est lui aussi une merveille. On peut s’y asseoir à 20 environ, bien serrés, car c’est une miniature de théâtre. Je jette un coup d’œil derrière moi, personne. Je m’avance sur la scène sous un soleil de plomb avec à ma droite un bœuf et un âne qui restent impassibles tandis que j’énonce à voix haute ces mots d’Antigone de Sophocle : « Tu me tiens dans tes mains, veux-tu plus que ma mort ? Alors pourquoi tarder ? Pas un mot de toi qui me plaise, et j’espère qu’aucun ne me plaira jamais. Pouvais-je gagner plus noble gloire que celle d’avoir mis mon frère au tombeau ? Et c’est bien ce à quoi tous ceux que tu vois là applaudiraient aussi, si la peur ne devait leur fermer la bouche. Mais c’est – entre beaucoup d’autres – l’avantage de la tyrannie qu’elle a le droit de dire et faire absolument ce qu’elle veut. »
Camping Nicolas 1
Le sac est lourd. Tu ne m’avais pas prévenue que le chemin serait si long. Je me pose un instant à l’entrée du camping, presque vide en cette saison. A l’accueil, j’achète une bouteille d’eau fraîche. Deux couples de jeunes gens viennent de finir de planter leur tente. Ils parlent la langue des signes. Je les observe longuement. Ce qui me fascine, c’est leur façon de se regarder dans les yeux ; pas de dos tourné, ni de paroles murmurées tête basse ; regard intense : la communication se fait de front. La grande difficulté sans doute est de construire une conversation à quatre. Leurs yeux roulent de droite et de gauche, visages mobiles, vivants. Un des jeunes hommes engage la conversation avec l’homme d’entretien du camping. Je devine qu’il lui demande s’il dort sur place et qu’il se fait préciser : sous la tente ou dans la maison ? Dans la maison, oui, mais laquelle ? Tous deux sont obligés d’ajuster leurs gestes. Ils s’inventent des signes communs pour se raconter l’un l’autre. Le jeune homme glisse les doigts devant sa bouche pour dire combien la maison de l’homme d’entretien est belle. Je suis leur conversation aisément, de loin, et je m’émerveille de découvrir tout ce qui peut être dit d’attention, de tendresse dans ce langage de corps à corps. Quand parfois les deux hommes semblent ne plus se comprendre, ils dessinent sur le sol de longues courbes avec un bâton. Plus tard la discussion s’arrête, chacun reprend ses occupations. L’homme d’entretien est radieux. Qui lui parle d’ordinaire ?
Villa Maria
Tu m’as décrit la villa Maria. Tu m’as expliqué que lorsque je la dépasserai, je serai presque arrivée. Elle est conforme à ce que tu m’en as dit, fleurie, c’est un bouquet.
Oliveraie
Plutôt qu’une oliveraie, c’est un champ bordé de 3 rangs d’oliviers et d’un rang d’amandiers. Au bord du chemin, un bel amandier a été planté pour attirer les voleurs d’amandes. Ce n’est pas la saison bien sûr mais si ça l’était, je ne m’y risquerais pas. Je connais ce procédé utilisé dans le pays : cet arbre est un leurre, un piège, et ses amandes sont si amères qu’elles dissuadent les touristes de croquer celles qui poussent sur les arbres, derrière, et qui elles, sont délicieuses.
Ancienne cité d’Epidaure
Tu m’attends au bord de l’eau avec deux masques et deux tubas. Tu as pensé à tout. J’enfile mon maillot de bains et nous entrons dans l’eau transparente et fraîche. Tu m’avais promis une belle surprise, la voici : en suivant un groupe de petits poissons noirs à la queue en forme de V, je découvre une cité engloutie, sous la mer, dans la baie de Paléa Epidavros. Au fond de l’eau, blotties contre des blocs de pierre, de gigantesques amphores dont il ne reste que le fond nous parlent des temps anciens. Je suis émue et tente de poser mes pieds sur ce sol autrefois habité. Les raies de soleil balaient la cité antique. Je me souviens de rêves où je respirais sous l’eau.
#8 Reconstitution Katina
@françoiseguillaumondantiparos1977
– Nous aurions un enfant doré comme les blés, si c’est un garçon nous l’appellerions Costa, comme le plus jeune fils de Katina.
– Anti – Hippos – Potamos – Philos – Orthos – Graphein – Kallos – Gonia – Poly. De là le polygone. A part ça, nos langues divergent.
– Aller chercher un bloc de papier et un crayon, s’asseoir à la table de la cuisine minuscule et partager le café offert, bouilli 3 fois, épais, légèrement amer, alors que tout en elle semble doux et sucré.
– J’ai sorti la lampe torche de mon sac à dos. Costa s’en empare. Je l’allume. Il pousse un petit cri, souffle sur ses doigts et secoue la main comme si du feu brûlait à l’intérieur.
– Costa et son frère Apostoli courent pieds nus dans les cailloux, écrasant les cactus d’un coup de talon, peau des plantes de pied tannée par des milliers d’années de civilisation. Tous les enfants du monde aiment courir derrière un ballon.
– Ça dure environ 40.000 ans et puis ça s’effondre. Xercès fait fouetter la mer.
– Ce sont les grecs qui sont à l’origine du mot barbare ; du mot seulement, parce que partout dans le monde les barbares prolifèrent au masculin.
– Elle a dessiné un énorme bateau, un homme dessus, le sigle dollar, et d’un geste ample elle a tout relié à elle et ses enfants.
– Tu connais l’histoire d’Ulysse et de Pénélope. Lui était parti avec une armée faire le brave. Comme si faire le brave c’était piller et tuer. Il est revenu seul, tous ceux qui l’accompagnaient ont été massacrés. Sur la route du retour, il a continué à faire n’importe quoi. C’est elle l’héroïne de l’histoire, bien sûr, même si personne ne le dit. Elle qui élève l’enfant, qui gère le royaume, déjoue les manigances des prétendants…
Pénélope et Katina, même combat !
– Ici, c’est sec, blanc, bleu, sauf sa blouse fleurie.
– C’est sa chambre qu’elle nous laisse. La seule pièce de valeur avec des meubles MDF noir, où nous nous aimons.
– MDF : matériau composite constitué de fibres de bois et d’un liant synthétique. Avant que ces fibres ne soient reliées entre elles, elles font l’objet d’un triage minutieux, d’un lavage et d’un dépoussiérage.
– Retrouver la maison isolée sur Antiparos. Mais plus rien n’est isolé ici. C’est le même nom, mais ce n’est plus la même île. Des maisons ont poussé partout, des tavernes, des magasins de souvenirs. Il y a même des routes. Les ruelles sont blanchies à la chaux et s’ombrent de bougainvilliers en fleurs. C’est très beau mais où sont passés les petits gars qui galopaient pieds nus dans les cailloux et la poussière ? Ils portent des chaussures.
– 15 ans après, la maison a 2 étages de plus.
– Sur l’enveloppe j’avais écrit : Katina, Antiparos, Grèce. D’après elle, cela devait suffire. A l’intérieur, des photos noir et blanc d’elle et de ses deux enfants que j’avais tirés dans mon labo photo à l’époque.
– Costa a 18 ans. Il parle couramment anglais, toujours les cheveux blonds.
– Did you receive the photos? I sent them 15 years ago. They were photos of you, your brother Apostoli and your mother.
-No pictures. I don’t remember anything about you.
– L’homme est revenu. Il ne part plus 6 mois par an en mer. Il a construit les deux étages supplémentaires de la maison et loue des chambres aux touristes.
– Une fille est née 10 ans après Costa, tout à fait différente de ses frères. Elle est longiligne et brune. Elle ressemble à Katina et tandis que nous parlons avec son frère, elle nous regarde étonnée.
– Antiparos a disparu, noyée sous les flots du temps. L’embarcadère s’est agrandi. A présent, c’est un ferry qui relie Antiparos à Paros. Plus de lampions multicolores qui s’allument le soir dans l’unique taverne du port. Cette île est une autre.
#9 La mémé
En me retrouvant à Itéa, en-dessous de Delphes, elle m’a raconté : « Elle avait la voix de la mémé du Puy. Exactement la même, je te jure. Elle vendait des objets tressés avec du blé ou des herbes sèches à l’entrée du canal de Corinthe. Sur le bord de la route, ils étaient des nuées de vendeurs à la sauvette à proposer des bouteilles d’eau, des paquets de mouchoirs ou ces petits objets façonnés avec de la paille. Mais on n’entendait qu’elle. Elle trônait au milieu de tous, aussi ronde et massive que la mémé. Sa voix dominait toutes les autres. C’était les mêmes accents chantants, nasillards, la même mine gourmande et réjouie, même si elle parlait une tout autre langue que la mémé. J’ai voulu lui acheté un des objets tressés qu’elle proposait aux touriste, il parait que ça porte-bonheur. Tu me croiras si tu veux, mais quand elle me l’a tendu, elle m’a attrapé la joue et l’a pincée tendrement, exactement comme le faisait la mémé et puis comme je partais, elle m’a attrapé le bras et m’en a donné un deuxième, pour toi.
Nord
#1 La nuit d’avant
Elle ne dort pas, elle ne rêve pas, c’est toujours pareil la nuit d’avant un départ, son cerveau refuse le sommeil, même si elle respire profondément, corps relâché, elle ne peut s’empêcher de penser au poids des choses, ce qu’elle préférerait éviter pour ne pas se laisser entraîner dans des considérations sombres et ses tentatives de penser léger la ramènent aussitôt à cette inquiétude quant à ce qu’elle a prévu d’emporter demain en Islande et qu’elle a pourtant pesé quand elle est montée dans un premier temps sur la balance avec sa valise, puis dans un deuxième temps sans sa valise et qu’elle a opéré la soustraction et tout à coup elle est envahie par l’inquiétude et si son compte n’était pas exact et qu’à l’embarquement il y avait un problème parce qu’elle ne voit absolument pas comment réduire la charge, elle qui n’emporte jamais que le minimum, même si là elle a dû prévoir des vêtements chauds, mais tout de même trois fois rien, sachant qu’elle pourra toujours se procurer ce dont elle a besoin sur place, sauf les livres qu’elle a choisis avec soin : Entre ciel et terre, D’ailleurs les poissons n’ont pas de pieds, Le moindre des mondes, Dans tes yeux tu me vis et Du temps qu’il fait, livres choisis du fait de la nationalité islandaise de leurs auteur.es mais aussi en fonction de leur épaisseur et densité avec des critères essentiels comme : avoir le plus de pages possibles, être écrit le plus petit possible, sur du papier le plus fin possible, de façon à pouvoir emporter le plus de livres possibles et elle ne supporterait pas de devoir en abandonner un seul lors de l’enregistrement si jamais le poids des mots dépassait la limite autorisée, ce qui a failli se produire une fois, lors d’un voyage de travail en Afrique et qu’elle a du enfiler tous ses vêtements pour pouvoir finalement embarquer sans renoncer aux livres que peut être elle ne lira pas, tant il y a à faire là-bas et bien sûr qu’elle pourrait prendre le livre électronique qu’on lui a offert mais elle n’arrive pas à renoncer au toucher, à la musique du papier, ni à l’odeur des mots qui l’accompagne et c’est si fort ce besoin que lorsqu’elle avait envisagé de rejoindre un ashram en Inde, quelle drôle d’idée, elle qui n’est pas du tout mystique, mais elle cherchait une forme d’apaisement cette année-là où peut-être elle aurait pu se laisser mourir de chagrin – si tant est qu’on puisse mourir de chagrin – et qu’elle avait compris que dans cet ashram elle devrait renoncer à tout contact avec l’extérieur et donc à la wifi, au téléphone, ce qui n’était finalement pas un problème pour elle jusqu’à ce qu’elle réalise qu’elle devrait aussi renoncer à lire et à écrire, parce qu’elle aurait pu envisager à la rigueur de partir sans livres à condition qu’elle puisse réécrire sur papier poèmes, textes, histoires mémorisées ou tout simplement écrire de nouvelles histoires, inconnues d’elle pour faire comme Aragon qui disait : « j’écris pour savoir qui est l’assassin », mais cela n’était pas autorisé et voilà pourquoi finalement, elle n’était pas partie et d’ailleurs elle n’était pas morte de chagrin non plus, ce qui lui permettait aujourd’hui d’être là dans l’attente de rejoindre le grand nord, elle qui a toujours rêvé de voir les aurores boréales et de se baigner nue dans des sources chaudes au milieu d’étendues glacées même si elle se demande soudain si la vision romantique de ce voyage correspond à la réalité qu’elle va rencontrer là-bas et peut-être faudrait-il tout annuler mais bien sûr c’est trop tard et le corps chaud et tendre qui dort paisiblement à ses côtés rêve sans doute déjà de rencontres avec des baleines, de jours plein de nuits avec elle pour s’aimer là-bas, comme ils s’aiment depuis tant d’années.
#2 L’arrivée
L’arrivée par le ciel se fait dans les nuages, décidément cette ville porte bien son nom et et tient toutes ses promesses – elle qui l’a tant rêvé déserte, inhospitalière, couverte de brume et glacée, surtout au travers de ses lectures – elle ne peut donc que se réjouir d’avoir bientôt froid et de ne plus percevoir la limite entre ciel et terre disparue dans un gris qui à coup sûr gommera aussi le sommet des montagnes, et cela la changera et c’est tant mieux, du climat océanique qu’elle a quitté quelques heures plus tôt, où l’hiver ne ressemble plus à l’hiver puisque le pilote annonce des températures proches de zéro et de la neige et soudain l’envie lui vient de rire et de taper dans les mains comme une enfant, nez collé au hublot où elle ne voit strictement rien, quand deux nuages épais, se déchirent et la ville se dévoile, assemblage de Legos aux toits blancs entre un quadrillage de routes grises et tandis que l’hôtesse demande aux passagers d’accrocher leurs ceintures et que l’avion se prépare à atterrir, elle aperçoit une montagne enneigée en appui sur le ciel qui plonge dans la mer sombre avant que tout ne s’efface à nouveau mais heureusement, on est en février, les jours rallongent et elle va pouvoir profiter du trajet entre l’aéroport et l’hôtel où elle est attendue avant la tombée de la nuit pour écarquiller les yeux, mais pourvu qu’elle ne se perde pas, même si, parait-il, il est très difficile de se perdre sur cette île car les routes y sont rares, mais sa capacité à s’égarer même dans les endroits les mieux balisés est tellement incroyable et laisse d’ailleurs sans voix ceux qui la connaissent, qu’elle se méfie, car elle a beau faire, se concentrer, apprendre par chœur les itinéraires, et même avec un GPS, se perdre est non seulement possible mais fort probable ; aussi, à peine ses bagages récupérés, elle choisit de boire un premier café au Bilaluga pour se donner du courage, se recentrer et si elle a choisi cette enseigne rouge et orange c’est à cause de ces mots familiers café, restaurant, bistro écrit en haut de la devanture et elle ne le regrette pas car à l’intérieur le double expresso à 300 ISK est juste parfait alors elle l’avale jusqu’à la dernière goutte avant de prendre la route prudemment mais comment rouler vite ici quand le panneau de limitation de vitesse indique un maximum de 50 km/h et que ça neige abondamment et heureusement que la chaussée est dégagée pour traverser les 70 km de champs de tourbe qui la séparent de la ville dans un tunnel blanc, route bordée de murs de neige avec un ciel qui joue son rôle de plafond à la perfection tant il est bas et lourd mais beaucoup plus froid que dans le poème, puis à force d’avancer quelque chose s’ouvre sur des rangées d’immeubles gris de quatre étages qui s’alignent les uns à côté des autres avec un abribus rouge au toit arrondi sous lequel des jeunes chahutent en riant, tandis que les maisons se serrent peu à peu les unes contre les autres et c’est alors qu’elle mesure combien cette île est peu peuplée au regard de la taille de sa capitale et de la faible densité des constructions et comme il neige de moins en moins serré et que le ciel s’éclaircit lorsqu’elle laisse sur sa gauche l’église Hallgrimskirjka toute blanche avec son clocher élancé, elle ralentit à l’angle des rues Baronstiggur et Logavegur où elle découvre étonnée un magasin de vêtements Gucci, Dolce & Gabanna, suivi d’un Illy qui lui rappelle si c’était nécessaire, elle qui se croyait perdue au nord du monde, combien le commerce est international, y compris ici et le Fosshôtel Baron où elle va passer sa première nuit ne dira pas le contraire tant il ressemble à n’importe quel hôtel de son pays avec sa façade grise surplombée d’une avancée en arrondi argentée, non, rien de remarquable dans cet hôtel donc, si ce n’est son emplacement à deux pas de la balade du bord de mer où elle file après avoir déposé ses affaires et enfilé des moufles bien chaudes avant que la nuit ne tombe car elle ne peut s’empêcher de se demander quel goût peut bien avoir la mer ici.
#9 Elle raconte
Ce matin là, face à la mer tumultueuse et sombre de février, qui masquait les îles Vestman, une femme m’a raconté :
« Jonas était parti en campagne de pêche et le bateau et l’équipage se sont retrouvés coincés sur l’île aux oiseaux. Cette semaine là, de l’autre côté de l’océan, sur la grande terre, une petite Audur est née. Maria a écrit une longue lettre à son amoureux pour lui annoncer la nouvelle. Elle l’a glissée dans une bouteille bien fermée, elle est descendue sur la plage de sable noir, le nourrisson de quelques heures dans les bras. La mer était devenue folle et Maria avait bien du mal à s’approcher de l’eau. Cette nuit là, ce n’était pas des vagues énormes qui se fracassaient sur la grève mais de gigantesques murailles d’écume grise et salée qui barraient l’horizon. Elle a jeté tant bien que mal sa bouteille à la mer et est rentrée aussi vite qu’elle a pu, chahutée par les bourrasques, le nourrisson blotti contre elle.
Elle avait glissé un peu de tabac dans la bouteille pour remercier la personne qui la trouverait de bien vouloir transmettre le message à celui à qui il était destiné. La bouteille a traversé l’océan pour arriver sur l’île. Un marin d’un autre bateau, immobilisé lui aussi pour cause de tempête l’a trouvée. C’est comme ça que Jonas a appris la naissance de son enfant. Une si grande nouvelle avait traversé l’océan. Les vagues pouvaient toujours enfler, secouer le ciel, le vent tempêter et empêcher les bateaux de rentrer, sa petite Audur était née et rien ne pouvait empêcher une chaleur solaire d’irradier son corps. »
# 3 L’impossible retour
… et toujours on me retenait et je n’étais pas la seule puisque personne n’avait pu quitter l’île depuis une semaine et tout le monde s’accordait à dire que ce n’était qu’un début puisqu’Eyjafjallajökull n’était pas près de s’arrêter et pourvu que sa sœur, Katla, réputée plus violente que lui, ne rentre pas, elle aussi, en éruption.
… et toujours on me retenait et je m’étais assise par terre dans un recoin du hall d’embarquement, au plus loin de la file qui par moment devenait fébrile, ce qui m’inquiétait, et voilà que la file s’enroulait sur elle-même dans le hall de l’aéroport et gagnait peu à peu l’extérieur, se prolongeant le long des pistes d’atterrissage qu’on aurait pu appeler tout autrement puisque plus rien ici ne décollait ni n’atterrissait.
… et toujours on me retenait, moi qui voulais partir d’ici puisqu’on m’attendait là-bas, de l’autre côté de la mer d’Irminger, mais le volcan avait perdu toute mesure et le temps s’était perdu avec lui. Les semaines passaient et les habitants s’étaient résignés comme des poissons hors de l’eau, alors que tant de corps juxtaposés auraient pu devenir une épreuve pour eux qui n’avaient pas l’habitude de se tenir serrés ni de former des lignes parfaites, eux qui vivaient sur une île si peu peuplée, mais les habitants restaient immobiles, les yeux ronds, ouvrant et fermant la bouche à intervalles réguliers.
… et toujours on me retenait. Personne n’aurait pu dire quand cela finirait car personne ne le savait et qui aurait pu le savoir si ce n’est Dieu, mais Dieu n’existait pas et la file s’allongeait sous le panache de fumée noire et rien ne bougeait ni dans l’air, ni sur terre et les semaines devenaient des mois.
Les habitants étaient solides, très solides. Leurs pieds s’étaient ancrés dans le sol quand le vent d’ouest avait forci d’un coup et la mer s’était démontée dans les criques, les rafales avaient soulevé des colonnes d’eau à la surface des fjords, mais eux les habitants étaient restés impassibles – ils étaient terriblement impassibles – et silencieux.
… et toujours on me retenait. Il fallait voir les bourrasques agiter les amas de fumée et pousser les nuages vers le haut du ciel. On aurait pu croire que tout allait se dégager d’un coup, mais de nouveaux nuages de cendre arrivaient en masse et recouvraient tout si bien que rien ne changeait et le temps passait.
Les habitants étaient philosophes, mais comment faire autrement sur cette île, ils disaient : « le nuage de cendres est dense mais circonscrit, pourvu qu’il ne monte pas plus haut ».
Les habitants étaient crédules aussi, ou cyniques, ou blasés, comment savoir, lorqu’ils écoutaient les experts raconter que l’activité volcanique sous le glacier Eyjafjallajökull, cette activité qui avait provoqué la création de ce nuage de cendres était sans danger pour les humains, même si les particules brûlantes de lave en suspension pouvaient potentiellement, toujours selon ces mêmes experts, faire fondre les moteurs des avions.
… et toujours on me retenait, les jours passaient identiques et dans la file, les corps fatigués se transformaient en rochers lourds et sombres et lassée de tout, je choisissais de plonger dans ce livre que j’avais apporté et que je n’avais pas encore ouvert et qui portait ce nom si éclairant : Du temps qu’il fait. C’est alors que je commençais réellement mon voyage. Je parcourais l’île à la rencontre des fermes isolées, des champs de lave, des coopératives de poissons, des aides ménagères dont on tombait éperdument amoureux, des montagnes et des rivages désolés et tant de beauté sauvage me bouleversait et je me baignais dans l’eau chaude tandis que je me blottissais dans ce recoin de l’aéroport et je réfléchissais à ceux qui partent, à ceux qui restent et à ceux qui reviennent et je réalisais comme l’auteur Du temps qu’il fait que « la vie ne consiste pas à se déplacer, mais à rester immobile quelques instants pour comprendre que d’après tous les calculs et selon toute raison, cette existence n’est pas possible ».
# 4 La halte
C’est un tout petit village sur la péninsule des Trolls, pour s’y rendre il faut prendre la ligne de bus 78 qui passe à proximité de Dalvik, marcher ensuite une quinzaine de minutes dans la tourmente et le vent pousse les flocons glacés à l’horizontale, il cingle les visages, les corps se plient vers l’avant, main droite levée pour faire écran aux attaques de ce qui devient grêle et puis soudain, une éclaircie dans la bourrasque et le village de pêcheurs se découvre au ras de l’eau, avec d’un côté de la route des bateaux colorés et de l’autre une rangée de maisons en tôle aux larges baies vitrées, serrées les unes contre les autres et tout au bout de la route qui finit dans la mer, le restaurant Gúru qui sert du poisson séché, du hareng et du requin faisandé, et qui propose le Flóki, whisky local au goût de médicament mais qui réchauffe bien par ce temps et à peine poussée la porte du restaurant, un homme massif aux yeux rougis de fatigue, vêtu en homme d’affaires, mais légèrement débraillé, nous demande en roulant les « r » dans un anglais parfait, si nous sommes anarchistes ce qui ne manque pas de nous surprendre et nous tentons de savoir pourquoi cette question quand l’homme en détresse bascule dans une logorrhée chuchotée où se mélangent plusieurs langues et nous ne comprenons plus rien tandis qu’il s’agite et qu’émergent dans un flot ininterrompu de paroles quelques mots d’anglais que nous croyons reconnaître comme bank, guilty, jail… et tandis qu’un scénario se dessine dans ma tête au vu des événements politiques qui se passent dans la capitale, l’homme enfile sa parka, pose un doigt sur sa bouche pour nous intimer le silence et, comme si 1000 diables le poursuivaient, se précipite dehors et disparaît.
# 9 Il raconte
Le barman nous a rejoint avec les bières commandées, des Einstök et il s’est mis à nous raconter en nous montrant la peau d’ours blanc, accrochée face à nous sur le mur : « Celui là est arrivé sur un iceberg en dérivant. 300km sur un glaçon, difficile de savoir précisément la durée du voyage. Visiblement pas assez pour dépérir mais suffisamment pour toucher terre à deux pas du port complètement affamé. On ne peut pas laisser les ours dévorer nos enfants, nos chevaux ou nos moutons. J’avais mon fusil, j’ai tiré. »
Prologue
En langue des signes française le futur s’écrit devant le corps, le passé derrière
Derrière
Je suis au Cameroun, sur le marché de Yaoundé j’achète un petit personnage en terre cuite qui lève les bras quand on tire la ficelle dans son dos.
Je suis à Pushkaranagaram au lever du soleil, à l’heure où les femmes se lavent dans le lac et je tente d’essorer ce chagrin-puits-sans-fond qui me colle à la peau.
Je suis à Koh tao avec masque, palmes, tuba et je me retrouve nez à nez avec un grand requin (à pointe noire ?). J’opère sans le quitter des yeux, un mouvement de recul lent et prudent.
Je suis à Venise à la Biennale d’art contemporain, en fait j’y suis tous les deux ans pour un rendez-vous expresso dans les jardins de l’Arsenal et pour me réconcilier avec l’humanité tant la beauté des oeuvres du monde entier me consolent.
Je suis sur le toit du monde et je raccompagne Atchouk chez son grand-père malade. Nous mangeons des galettes à la farine de tsampa et nous buvons du lait de yack.
Je suis dans le bus local entre le site de l’armée en terre cuite et la ville de Xian, un petit homme tire les poils du bras de Jeff en riant tandis que nous avançons sur des routes défoncées et terreuses, traversant des villages bidonvilles où sur la place centrale des femmes font la queue devant un puits.
Je suis à New York et la porte du rooftop est coincée, j’enjambe le parapet et rejoins l’appartement situé au 16ème étage (soit 4 étages plus bas) en empruntant échelles et coursives métalliques.
Je suis à Bethleem devant la vitrine du magasin The Nativity Store souvenirs discount shop, tout est en solde.
Je suis à Cythère, je nage vers le large tandis que deux tortues géantes glissent sous mes pieds et s’enfoncent dans les profondeurs.
Je suis à Bruxelles et j’installe 30 vieux canapés dont 13 sonorisés sur la Place Royale, devant l’entrée du musée Magritte.
Devant
J’irai à Reykjavik voir les aurores boréales, bientôt.
J’irai à San Rosé, capitale du pays du bonheur intérieur brut qui investit 71% de son PIB dans l’éducation et 10,9% dans sa politique de santé.
J’irai à Bratislava assister à un spectacle de marionnettes.
J’irai à Constantinople (ou pas) et je mettrai mes pas dans ceux de mon grand-père, petit paysan de Haute-Loire, qui s’est retrouvé là-bas pendant la guerre de 14/18. C’est au milieu de cette boucherie qu’il a appris à écrire avec un crayon de papier.
J’irai à Bergen et j’embarquerai sur l’Express côtier avec une valise remplie de polars norvégiens.
J’irai en Finlande et je traverserai les étendues glacées de Kittilä en me souvenant du lièvre de Vatanen.
J’irai rouler à gauche dans les rues de Pondichéri au volant d’une Ambassador.
Comme dans les mers où j’ai nagé, j’irai à Cagliari avaler une gorgée d’eau salée.
Elle m’a dit : maman, là-bas c’est…. et elle s’est tue. Plus tard elle a ajouté : il n’y a pas de mots pour décrire ce que j’ai vu, ce que j’ai ressenti. J’irai moi aussi à Nouakchott, je m’enfoncerai dans le désert mauritanien et comme elle, je resterai sans voix.
J’irai grimper les 5 collines de San Francisco en pensant à Philippe qui a du y renoncer (trop pentu en fauteuil roulant manuel).
beau voyage ici aussi Françoise, merci et à bientôt se lire encore !
Merci Gwen pour ce retour. Ce cycle du voyage quel bonheur ! J’avais suivi le carnet, c’était une première pour moi avec François Bon et le Tiers Livre. C’est tout de même incroyable cette aventure et toutes ces écritures que l’on découvre ! au plaisir de continuer à vous lire aussi.
les nuits, superbes phrases qui emportent tant de choses (tant que le voyage déjà vécu ne pourra donner que surprises)
Merci pour ce retour. ça me connaît les nuits qui n’en finissent pas 😉
Le fil de ces voyages se dévide de son écheveau et on a envie que la phrase ne s’arrête pas, que le flux de pensées perdure sans qu’un point ne vienne l’interrompre, ne vienne nous interrompre dans ce voyage. J’aime beaucoup, merci.
Merci Jean-Luc, cela me touche. Je découvre le bonheur de la phrase longue qui n’en finit pas grâce à cette proposition d’écriture. En plus pour la nuit d’avant, c’est cadeau.
deux pays qu’aurais aimé connaître, merci de me les faire vivre
Merci Brigitte pour votre lecture. J’espère que ça va mieux. Au plaisir de vous lire aussi.
Belle ambiance dans cet impossible retour, dans ce texte qui prend son temps et qu’on ne lâche pas, presque comme un de ces polar que vous emmènerez dans l’Express côtier (qui me fait bien rêver aussi).
Merci pour votre lecture. j’aime beaucoup le travail de typo que vous avez mis en place, aves les passages en ital… et comment ça se contruit. c’est vraiment réussi. Personnellement je n’arrive pas à mettre en page ces deux voyages, c’est que des textes en enfilade, j’y réfléchis… pas simple.
Et puis qu’est ce que c’est beau cette histoire de tissage collectif et de chemin de langue.
merci
tant pis pour les frottes, les maquereaux me suffisent
et les harengs assaisonnés par la sidération de la rencontre
merci pour votre lecture, les harengs assaisonnés par la sidération de la rencontre, quelle belle notation !
à bientôt
Très beau, très vivant le premier voyage avec des accents de conte et de tragédie parfois… j’ai été embarquée. Je reviendrai lire le deuxième
merci d’avoir pris le temps de suivre ce premier voyage.
#6 : où on peut rêver l’espace en poésie, tant par les images suscitées que par la forme, en particulier cette enfilade de questions auxquelles personne ne peut répondre.
Merci pour ce retour. Cette proposition m’a paru très difficile. J’ai fait ce que j’ai pu avec le sentiment de ne pas y arriver. Votre retour m’encourage. Pas simple cette mise en dialogue.
Du coup je suis allée vous lire et j’ai tout lu et c’était un régal. Les cailloux qui volent partout, le chat qui médite, l’envie d’aller un jour boire un café dans tous les cafés du commerce qui existent…
Merci ! Envie de voir comment vous vous emparez de la proposition sur Calvino.
Merci Françoise !
Je découvre avec émerveillement le voyage en Islande (je me réserve celui en Grèce pour une autre fois). J’aime la description des livres dans la valise de la #01. Les paysages sont magnifiques, avec leur description à hauteur de regard qui rend les choses sensibles. Et votre impossible retour fait un clin d’oeil à mon récit de voyage posté il y a une heure https://www.tierslivre.net/ateliers/voyage-en-boucle-01/, #06 | Où se poser.
Eh oui, ces volcans qui nous empêchent d’atterrir ou de décoller !
Je viens de lire vos voyages. Bel univers et belle écriture. Entre histoire collective et personnelle, je trouve qu’on y est.
la 7 : j’adore (les autres aussi remarque)(jt’ai fait un mail)
J’aime aussi beaucoup ce voyage de la #7où vous nous emmenez à proprement parler. La description est comme fidèle à des souvenirs que bien sûr je n’ai pas vécus, mais que vous permettez d’imaginer, presque de retrouver. Merci
Merci !