Elle raconte comment ce dimanche-là, contrairement aux autres dimanches, ils ne sont pas allés à Marina Beach, la longue plage qui borde Chennai. Ce matin-là ses deux enfants dormaient encore, peut-être fatigués par les émotions de la veille, le 25 décembre, par les illuminations dans les malls, le carnaval, les jouets. Même s’ils n’étaient pas chrétiens. Ce matin-là elle avait décidé de les laisser dormir tout leur saoûl. Ce matin-là de la baie du Bengale a surgi la vague de 9 mètres ou plus qui a tout englouti.
Antonio nous raconte l’arrivée de sa mère en France. Elle avait tout juste 14 ans et devait rejoindre son père à Modane, comme le ferait par la suite chaque enfant de la famille. Elle avait pris son billet, s’était installée seule dans le compartiment. Un long trajet l’attendait. Puis un voyageur s’installe en face d’elle, bien mis, qui regarde cette enfant un peu perdue avec curiosité. Il entame la conversation, lui demande son nom, sa destination, la raison de son voyage. La fillette s’embrouille, rougit, elle a honte de son accent napolitain. L’homme demande à voir son billet. Mais ma petite, ce train ne vous emmène pas à Modane, il est écrit Modene. Ne vous affolez pas, nous allons régler ça. Bref il s’est occupé d’elle, lui a payé son billet pour la France et c’est ainsi que ma mère a rejoint mon grand-père en France.
Usha nous révèle comment elle a pu déjouer l’interdiction de son mari, et avec l’aide de son professeur d’université et la complicité de ses parents, comment elle a soumis son dossier pour venir une année en France en laissant ses enfants. Il avait fallu trouver des vêtements chauds, rassembler les documents, battre en brèche les remarques désobligeantes de la belle-mère. Elle portait le blouson de cuir de son père, acheté en Belgique des années auparavant, comme s’il symbolisait sa nouvelle peau d’occidentale. D’ailleurs elle nous avoua que le nom sous lequel nous la connaissions était son nom de jeune fille et non celui de son mari. Elle était arrivé dans le pays de Victor Hugo et de Flaubert.