Voyage 2 # Inde

Calcutta

Calcutta, ville où morts et intellectuels se retrouvent. Où peut-être les intellectuels morts se regroupent et poursuivent leurs éternels débats. Seuls les dieux savent ça. Moi, simple humaine, je n’ai pas dormi dans ce train et maintenant les rails grincent fort. Encore et encore. Amoncellements de déchets, de détritus de tous genres entourent des rails. Encore et encore. Enfin des quais visibles sur le côté. Le train ralentit, s’arrête, repart, freine puis s’immobilise. Enfin. Excitation dans le compartiment. Moi j’arrive avec la voix off de Marguerite Duras. Son phrasé si particulier me poursuit, parmi les intonations bengalis. Poussée par la foule je descends du compartiment. Trop de tout sur le quai. Des corps, des bagages. Comme je peux, j’avance sur des quais interminables. Bruits de cliquetis métalliques sous néons bleutés. Visages sombres, cheveux noirs, yeux noirs. Monticules de baluchons tissus, cartons dans les bras, paquets sur les têtes. Des porteurs et des chariots encore et encore. Ça s’active. Sur le sol quelques tas, des corps affalés, devinés entre des tissus sales, d’autres assis, adossés aux colonnes de la gare. Où marcher parmi les fatigues, les familles, les fantômes, les saris, les enfants tout endormis. Auprès de nous, quelques déesses veillent. On n’est jamais seule en Inde. Ça grouille nuit et jour. Je n’arrête pas de marcher dans Howrah JN.Railway Station, vers la sortie indiquée, improbable, promise. Devant le bâtiment de briques rouges, multitude de taxis jaunes. Ils m’attendaient tous. Non pas tous. Maintenant me faire comprendre. Oui je vais dans cet hôtel là. C’est écrit là. J’ai réservé là. Mon chauffeur sait lire, une chance. Et il connaît, c’est-à-dire n’a aucune idée de l’endroit où mon hébergement se situe. Je lui indique le quartier sans être convaincue qu’il me comprenne. Je négocie le prix. Un peu pas trop. Il va se renseigner auprès de ses collègues, mon papier à la main.  Où aller ? Où me déposer ? C’est long puis l’impression qu’on ne va jamais décoller. Enfin on démarre, le taxi date mais la portière ferme. La vitre aussi.  Où est le Gange ? J’avais oublié le flot permanent des klaxons. Et soudain je réalise que je suis sur le pont, le célèbre pont. Sur le Gange. Je ne vois rien du fleuve. C’est sombre et informe. Pourtant c’est pour lui que je suis venue à Calcutta. Le pont tout en métal. Une Tour Eiffel horizontale. Une construction infiniment longue. Je ne vois rien de l’eau qui coule en dessous. Ça me paraît indistinct et étale. Ça dure une éternité ce pont. Après on roule sur des boulevards et avenues imposantes. Feux rouges, gros carrefours. Peu de lumière, j’entrevois des façades décolorées d’immeubles délabrés avec balcons, grilles aux fenêtres et murs parsemés de tache de moisissures. Entre tout ça, des arbres survivent, poussent comme ils peuvent, et des tas d’ordures s’accumulent. Je vois la queue d’un rat filer sur ce qui fait office de trottoir. J’espère qu’on ne va pas faire trois fois le tour de la ville. Sur une grande place, autour d’un abri surélevé pour policier gérer le trafic, des grappes de gens allongés sur des nattes, dorment. Enfin il semble, et entre deux files sur l’avenue, une vache, sacrée, dont le pelage fut blanc, marche sans hâte. Tous les véhicules l’évitent. Plus loin un groupe de chiens errants aux yeux fous, aux crocs pointus se battent. Je voudrais être arrivée, dormir, je voudrais être demain, je voudrais…

Mon chauffeur tourne, retourne. Encore et encore une avenue. Encore une. Le Gange est loin maintenant. Et puis il téléphone. Les mots Golden Apple, le nom de mon hôtel, reviennent dans sa conversation. C’est toujours pareil, ils disent connaître pour prendre la course et ça dure des heures car ils ne connaissent pas l’adresse. Je lui répète: Sudder street. Il pourrait avoir un GPS. Et soudain, énervée, fatiguée je vois le GOLDEN APPLE en lettres de néon rouge et jaune sur un bâtiment. Il est fier de lui, me demande un pourboire. Je vais pouvoir dormir.

Jaisalmer

Jodhur

Une gare routière en Inde c’est synonyme de fourmillement, de vendeurs de tout criant le nom de leurs marchandises, de mendiants collants, d’enfants se coursant, de vieilles pliées en deux par le poids des années et des paquets, sans compter ceux qui attendent, ceux qui guettent ou dorment dans un coin. Et l’arrivée de nuit à Jodhur ne déroge pas à ces images là. Donc je suis contente d’arriver dans cette ville, composée d’une partie inférieure et ancienne aux murs bleus, et d’une haute comportant un fort militaire ocre. Enfin ça ce sont les photos vues dans les guides.

Trouver un rickshaw à la sortie de la gare ne représente aucune difficulté. Les chauffeurs, dans ce pays de grande spiritualité, se battraient pour charger un client occidental, synonyme de pigeon. On peut toujours tenter de négocier le prix du trajet mais comme on n’a aucune idée des tarifs. Normalité de payer dix fois plus le premier jour. Après c’est après. Donc je monte dans un rickshaw qui démarre en pétaradant. On emprunte quelques boulevards, puis on se retrouve sur une bretelle d’autoroute, au milieu de véhicules roulant à 100 à l’heure. Il me parait évident qu’il ne sait pas où se situe l’hôtel que je lui ai indiqué. Alors pour une fois je m’énerve, lui demande de sortir de cette autoroute et près d’une place où je vois d’autres rickshaw stationnés, je descends, le laisse en plan et je monte dans un autre qui part aussitôt dans la direction d’où on vient. On fonce dans la ville endormie. On passe dans des avenues avec des arcades, devant des magasins aux rideaux de fer baissés, et sous lesquelles dorment des indiens, leurs enfants. Juste à côté leurs affaires, soit bien peu, reposent. C’est presque silencieux. Les singes aussi doivent dormir. On contourne la place de la Clock Tower dont l’horloge affiche 2 heures 10. Le vent balaye doucement les pavés gris jonchés de sacs plastiques. Il fait doux, ce vent est agréable. Demain je viendrai sur cette place de marché me balader.

Avec la Tour, je me repère. On est dans la partie ancienne de la ville, là où j’ai prévu de visiter les temples et le reste. Les murs des maisons basses, individuelles même s’il fait nuit, sont effectivement peints en bleu. Un magnifique camaïeu de bleus moyens et doux. Ça ressemble à un dédale cet enchevêtrement de petites constructions mitoyennes. Et soudain le chauffeur s’arrête. Je ne vois aucun hôtel au milieu de ce tas de maisons individuelles. Sur un mur latéral, il me montre une petite flèche rouge, peinte à la main. Je me demande s’il veut me faire marcher dans cette ruelle pour m’abuser, au fond de laquelle est sensé se trouver le Kesar Heritahe Guesthouse. Il insiste, alors je le paye une fortune, relative tout de même, et avance dans ce qui ressemble à un véritable guet apens. Personne évidemment. Et puis au fond de cette impasse, une chance, mon hôtel. Mais fermé. Archi fermé. Alors je tape à la grosse porte de bois sans sonnette. Je tambourine même car personne ne réagit. Pas un bruit, rien, pas un son, même pas un ronflement. Puis un aboiement de chien surgit au milieu de la nuit. J’espère qu’il va réveiller le gardien de nuit. J’attends un temps infini pour une occidentale, je recommence à frapper violemment. À ne pas douter, je réveille tout le quartier. Aucune porte ne s’ouvre. Puis au bout d’un moment, j’entends les cliquetis d’un loquet, d’un verrou, d’une serrure comme dans une véritable forteresse. Un indien m’ouvre, je me présente. J’oublie de demander de m’excuser de tant de vacarme. Le gros chien vient roder, me renifler. On me fait entrer, on m’ouvre une chambre. Murs clairs, joli tapis coloré, tapisserie murale artisanale, volet de bois intérieur sur fenêtre et lampe qui éclaire. L’ensemble est propre, soigné et le lit correct. Un vrai palais. C’est parfait. Parfait je vais pouvoir dormir en attendant demain.

A propos de Pascale Sablonnières

photographe autrice et professeure dans une école d'arts plastiques, j'écris. j'écris, en lien ou pas avec des images, en lien ou pas avec des œuvres visuelles, ou avec ce qui se passe ou ne (se) passe pas. http://www.pascale-sablonnieres.fr/ https://montreuilsurpage.blogspot.com/ https://dungesteverslautre.blogspot.com/