Dubaï
Je me demande pour quelles raisons je me souviens de ça. C’est un détail. Il ne s’est rien passé d’important à ce moment-là. Du pas conséquent comme on en vit tant. Mais comme je m’en souviens, quelque chose a du me marquer.
C’était durant les congés de Noël, on partait au Laos, avec cette escale à Dubaï. Je ne me souviens plus la compagnie aérienne, mais cela ne change rien. En soute, dans nos bagages, guide de voyage, nu-pieds et lunettes de soleil, et dans nos bagages à main un roman plus les documents courants. Normal. L’escale à Dubaï d’une durée prévue de trois heures nous permettait de ne pas s’affoler, au cas où notre premier vol aurait eu du retard. En France, s’il neige, cela arrive de décoller avec beaucoup de retard. Enfin cela nous était déjà arrivé. Bref, on était heureux, excités à l’idée de partir, de séjourner dans ce pays qu’on ne connaissait pas encore. On avait prévu d’aller vers le Nord de Vientiane, dans les montagnes jouxtant la Chine.
Donc, nous débarquons à l’aéroport de Dubaï. À l’heure. Sans problème, aucun. Nous attentent des kilomètres et des kilomètres de couloirs de galeries marchandes, dont évidemment nous ne sortirons pas. Air conditionné, lumière artificielle éblouissante, décorations à la fois kitch et supra moderne. Sur plusieurs étages, une multitude de boutiques de mode, de Duty-free. Ça sent le parfum à côté des bouteilles d’alcools, des keffiehs et des tee-shirts à l’effigie de l’Émirat. Partout des faux palmiers. À se demander si ce ne sont pas des vrais. Le voyage peut commencer. Et il commence durant cette escale, où on se balade comme sur Mars, tellement étrangers à tous ces commerces de luxe, ces bijoux clinquants, ces tenues locales, ces chaussures extravagantes, ces montres XXXL comme leurs prix.
Nous, on est fatigué, flottant, entre deux eaux ou plutôt deux nuages et sur fond de musique guimauve, on cherche un fauteuil, une banquette, enfin un endroit où se poser pour attendre. Pour attendre notre vol annoncé dans deux heures. C’est long les escales quand tous les avions sont à l’heure. On trouve un siège Tout va bien. On est nulle part. Ou presque On est dans un aéroport, un gigantissime, un international, un mondial. Pourtant à mille détails imperceptibles on se sent dans un pays où la langue est l’arabe, loin des rituels du Noël chrétien. Dans ce contexte entre deux mondes on attend notre avion, on attend la suite du voyage, on voyage déjà un peu.
On somnole à demi, un œil sur cet environnement stéréotypé. Et soudain, ouvrant les deux yeux je crois rêver, devant moi six rennes, attelés à un traineau de bois supportant des paquets cadeaux et un Père Noël grande barbe blanche, et manteau rouge. Mais surtout, surtout les mâchoires des marionnettes de rennes bougent. Elles s’ouvrent, se ferment. C’est magique, magnétique, ridicule. Et sort de ces mâchoires une affreuse rengaine, d’une ringardise typique de Noël C’est terrible et terriblement laid, toute cette animation devant nous. Et soudain tout s’arrête. Juste devant nous, toute cette machinerie s’arrête. Stupéfaits on se demande sil s’agit de la programmation normale ou d’une panne. Fatigant tout ça. Alors avant que les techniciens ou surveillants arrivent, on décide de changer d’endroit. Avec nos petits yeux fatigués, sans oublier nos bagages à main on repart en quête d’un endroit plus tranquille pour continuer à attendre. Mais on ne connaitra pas la suite des choses, la vie des rennes de Dubaï.
…
Danemark
Je me demande pour quelles raisons je me souviens de ça. C’est un détail, enfin peut-être pas. Il ne s’est rien passé rien de particulier vraiment rien de spécial durant ce moment-là. Du pas important comme on en vit tant. Mais comme je m’en souviens, cela, après coup, me questionne. Quelque chose a du me toucher, me marquer. Quelque chose en correspondance avec un désir enfoui, une image mentale. Un léger déplacement des évidences.
C’était durant les congés de Pâques, on allait tous les quatre en voiture, de Paris à Gilleleje, au Nord de Copenhague. Une première de partir avec deux adolescents pendant une semaine, pour découvrir le Danemark. On nous prêtait une jolie maison de bois au bord de la mer. On avait quitté Paris vers 17 heures, je crois, Dans nos bagages, guide de voyage, gros pulls et lunettes de soleil. Route de nuit pour gagner une journée de vacances. On était heureux, excités à l’idée de partir, de séjourner dans cette région. On avait prévu de passer par Hambourg puis de traverser la mer en ferry.
Cartes routières en main, direction Bruxelles. Comme toujours, trop de camions sur l’autoroute du Nord. Ça bouchonne, mais on ne s’impatiente pas. Trop de kilomètres à faire pour ça. On a prévu une grande marge pour ne pas rater le ferry. Nous traverserons Copenhague de nuit.
Vu l’importance du trafic routier, on n’avançait pas vite. Alors une petite pause dés la frontière belge dépassée, est décidée. Je ne sais plus pour quelle raison on choisit de quitter l’autoroute. On imagine sans doute que les frites sur les aires d’autoroutes sont moins bonnes que dans les villages. Je ne sais même pas si l’un de nous avait faim, mais l’idée de manger de grosses frites belges nous a réjouissait comme une récompense extraordinaire, un plat exceptionnel. On traverse quelques villages assez morts. Évidemment quand on cherche une friterie ouverte on n’en trouve pas, même en Belgique. Puis on voit un camion friterie. Exclamations de joie dans la voiture comme si le trésor était en vue. Il y a même un petit parking pour garer la voiture à côté du camion et il ne pleut pas. Tout va bien. Alors on commande nos barquettes de frites. Mayonnaise, vinaigre ou ketchup. Du sel pour tout le monde. Coca ou bière. Oui des serviettes. Oui il ne fait pas chaud. Oui on reprendra encore une portion, oui on la partagera. On saute sur place pour se réchauffer, mais pas question de manger dans la voiture à cause de l’odeur.
On rit pour rien, pour le plaisir. On est quatre gamins aux doigts gras et aux sourires bananes. Elles sont sublimes toutes ces frites. oui on se goinfre, on aurait presque besoin d’une sieste pour les digérer alors qu’on a encore une longue route devant nous. oui du café s’il vous plait, non sans lait… Oui c’était parfait.
C’était exactement ce qu’il nous fallait. On en avait besoin. Oui besoin de ces frites-là pour que le voyage, les vacances débutent, pour sentir l’ailleurs, le dépaysement. Parce qu’il faut savoir, tout de même que des frites à la maison on n’en fait jamais.
Voilà c’est tout, j’avais bien dit que c’était presque rien. Une petite histoire de frites sur la route du Danemark. C’est tout. Et on a repris la route, après cette pause.
J’ai tellement aimé le presque rien du texte Danemark comme un débordement de tendresse
Ça fait du bien la joie !
sublimes, forcément (les frites) (forcément) (bravo)
L’avantage des frites, c’est le côté consensuel.
C’est chaud, c’est dur et mou, c’est tendre et gras, c’est salé et réconfortant etc. etc. C’est déjà beaucoup.
« Un léger déplacement des évidences. » Comme c’est vivant et ça avance ! merveilleux presque rien …
les évidences évidentes n’ont aucun intérêt, tout comme les bols japonais neufs vis à vis des kintsugi