à Paris j’aurais revu E., la metteuse en scène du film sur Fellini, auteure de plusieurs livres et de scénarios et à laquelle je devrais faire des photos (en plus de celles du tournage) et poser des questions sur les motifs de son écriture, ses raisons, tâtonnements, évolutions, ressorts, sous-sols, transports, bonnes ou mauvaises lunes, révélations, retours, épiphanies, hasards, reflets, ombres,… toutes ces questions qui un jour d’une certaine manière s’étaient résolues avec la phrase qu’un jour à Paris dans une brasserie elle m’avait lancé (sans doute le côté concis de la phrase s’accordait bien avec la jeunesse fruitée néanmoins abrupte en bouche d’un vin nouveau qui nous avait été quasiment imposé) : quoi qu’il en soit toute langue toute écriture est contre le paysage ! (Qui sait si elle avait changé si je la reconnaitrais ?)
après cette rencontre avec E. je me souvenais avoir repris le train dans le sens inverse du trajet que j’étais maintenant en train de faire, vers la Lombardie ou un problème technique devait forcer notre arrêt prolongé à Marseille alors qu’il faisait encore jour et qu’un vent très fort faisait osciller en mouvements tournoyants les feuilles des arbres faisait se pencher sur les quais des personnes pressées occupées aussi bien à tenir leurs chapeaux sur la tête qu’à serrer sur leurs poitrines les revers fous de leurs vestes légères certaines allaient rattraper des mouchoirs ou des papiers envolés et leur course aléatoire vue du train quasiment à l’arrêt faisait sourire les plus jeunes les rapprochant nez collé des vitres aux allures d’écran de cinéma improvisé par où ils ne demandaient qu’à rentrer en guettant pour cela le déclic de l’ouverture libératoire des portes automatiques
sur le parvis de la gare du dehors j’avais vu un étagement de couleurs autour de contours profils masses claires au loin que je connaissais bien que le vent pensait peut-être balayer par rafales et courants variés entre eux contrariés sifflant le long d’invisibles carrefours corridors aux portes imaginées molles vaguement désengoncées au travers desquelles moi aussi je m’étais engouffré Mes vêtements de lin d’une teinte déjà claire avaient pris au contact du vent cette allure de combinaison spatiale prête à enfler et à désenfler au plus fort ou plus léger souffle d’air qui m’avait parcouru comme un sang neuf sans doute d’un rouge si beau et si brillant que (je pensais) je n’aurais pas été effrayé si à cet instant je m’étais coupé et que je l’avais vu couler
comme l’arrêt promettait d’être long interminable j’avais accepté de faire le voyage du retour à bord d’une voiture (une station-wagon) conduite par un jeune italien d’origine comorienne qui lui devait se rendre bien plus au sud dans la région des Pouilles où il aurait travaillé comme saisonnier sous-payé dans les champs pendant tout l’été Notre voiture avait accueilli beaucoup d’autres personnes seules ou en couples également des petits groupe d’amis qui nous avaient raconté leurs vies par bribes ou pans entiers suivant des états aussi proches de l’euphorie que d’une noire mélancolie Loin de ne plus vouloir les écouter je m’étais pourtant mis à regarder le paysage en me laissant aller à imaginer leurs vies leurs familles leurs entourages leurs destins sans trop les assaillir de questions car ils semblaient être portés par une sorte de confort de légèreté les amenant à se livrer à nous alors à l’écoute et comme en charge de recueillir les confessions les plus intimes et secrètes Parfois leurs phrases auraient été coupées par un de nos pourquoi ? ou par des digressions des changements de rythme, des lenteurs… A mesure que la route défilait et que leur destination se rapprochait arrivait fréquemment la nécessité de dire de leur voix des choses importantes peut-être même jamais dites et le moment d’ouvrir et de fermer les portières, souvent précédé d’incroyables aveux, avait parfois été mitigé même contrasté par des salutations désinvoltes laissant croire au jeu a posteriori d’une représentation d’acteurs-passagers !
sur le parcours l’un d’entre eux un parfait inconnu habitant proche de la grande boucle d’une bretelle d’autoroute nous avait invité à prendre le café chez lui où pendant une heure et sans même avoir eu le temps de goûter à la boisson nous nous étions (le jeune italien et moi) paisiblement assoupis dans une chambre claire avant de reprendre notre trajet
(pour le paragraphe 4, il y a ce film (magnifique) Taxi Téhéran (Jafar Panahi, 2015) (lequel vient d’être remis en liberté) (ainsi que Fariba Adelkhah) (pour le 5 c’est un calme magnifique)
Merci pour votre passage Piero, j’ai découvert récemment Jafar Panahi avec son film, le dernier, Aucun Ours, très fort…
oui, « Aucun ours » – chroniqué en main[s]témoin (ici : http://www.maisonstemoin.fr/2022/12/21/non-aucun/) – bonne continuation…
Merci Piero ! J’aime beaucoup sur le site le découpage images/textes….
content que ça te plaise Sandrine…