#voyage #02 lendemain/gares

« Il est rarement possible de dire pourquoi certaines choses vous blessent aussi profondément. C’est le plus souvent qu’elles sont idiotes« , encore que parfois la profondeur de ce qu’elles engendrent assurent quelques tremblements. Par exemple ce manquement : j’ai vaguement le souvenir d’y être arrivé vers une heure, nous étions en semaine et il y devait y avoir là le frère de l’une des amies, mais non, personne – je n’ai rien demandé non plus, se débrouiller alors seul, prendre un autobus, pour rallier la gare : une ville inconnue, une chaleur accablante, rien à manger (mais on n’a pas faim) – une espèce de truc dérisoire ce n’est pas une gare, tout au plus est-ce une place, vide – j’ai retrouvé cette image pourtant


j’ai retrouvé aussi les sentiments qui alors m’animaient – j’avais perdu le sens des choses, j’avais promis de ne pas continuer dans le sens qui, durant quatre années, avait motivé mon désir – je me souviens que lors de ce premier amour, quelque chose de spécial, de précis, de nouveau, quelque chose avec l’autre genre, bien sûr j’avais (j’ai toujours) deux sœurs et je le savais, cet autre genre, cette autre façon d’être au monde, si semblable mais si différente, il n’y a pas de mesure commune entre une sœur et une amante – une femme brune, plus âgée que moi, deux ou trois ans, dans ces moments-là comptent double, et pour une fille encore plus, cet hôtel non loin du centre, son sourire est toujours présent, je le revois et la revois elle et ses cheveux auburn doucement me souriant, mais elle m’aimait tellement moins que moi, mais vois comme sont les choses je ne me souviens plus de son prénom, je la revois pourtant exactement et la moto de son père était celle que je convoitais, le mien appuyait ma passion, tout est entremêlé – bien des années avant, mes douze ans peut-être, les samedis vers deux heures le journal, la connaissance de la technique, l’importance de la puissance et de la transmission (par arbre – les mots disent toujours plus), puis vers seize le permis et le kick pour démarrer la moto des cours d’école, le débrayage à main gauche et cette force d’acier pour l’actionner et la boite de vitesse au pied, la sensation merveilleuse de se sentir poussé, le bruit bien sûr et puis à la fin de ce mois de juillet-là, et tout qui s’efface, elle assise sur mon lit, dans la chambre verte du deuxième qui me demande, gentiment sans violence sans autorité, doucement larmes aux yeux juste par amour et considération, de cesser ce jeu s’il te plaît je ne vivrai pas je ne vivrai plus sinon – oui, tant pis oui, oui bien sûr oui – mais ces économies, là, à quoi serviront-elles ? Le voyage, la chaîne hi-fi les habits neufs, des choses, juste des choses – oublier oublier oublier, j’en étais là, l’entorse à ma cheville n’était pas complètement guérie, je devais boiter et le train s’en allait – ce n’était pas un train, une seule voiture (celle de l’image, exactement) une seule voiture ne fait pas train, je n’avais pas de chapeau et les portes étaient ouvertes, il s’arrêtait n’importe où, les gens descendaient faisaient signe au conducteur, les chèvres vaquaient sur les bords de la voie le train les effrayaient à peine, la montagne, et cette aridité de la campagne, l’odeur du thym, de la poussière et cette chaleur, les pieds en dehors, je devais retrouver les autres sans doute en fin d’après midi, mais le train traînait – arrêt de peut-être deux heures à l’embranchement de Corte en attendant que l’autre train libère la voie unique – des gens qui montent, d’autres qui descendent n’importe où, on mange de la charcuterie, du fromage, on m’en propose oui dis-je, délicieux, les sourires et les rires qui se moquent en patois des continentaux – quelques années plus tard, dans le Limone-Vintimille (on le prenait six à huit fois par jour, il y avait trois voitures, des femmes criaient en y entrant « posto ! posto ! »), cette même façon d’être ensemble, de partager quelque chose même en se moquant, de rire de notre incompréhension réciproque de nos dialectes respectifs – nous nous sommes tant aimés c’est vrai – mais cette chaleur, tellement pesante douce normale qui remémore, cette langueur dans les attentes, les arrêts, les gens au milieu de nulle part qui attendent montent se saluent – ce n’est nulle part que pour nous ils s’en vont et la poussière et les cailloux roulent sous leurs pas – on dort à peine, voilà, il est près de huit heures et on arrive – les montagnes s’effacent au loin, on ne les voit plus, c’est la plage au loin la mer,

on arrive les palmiers, mais personne, la plage sans soleil il est tard, les gens flânent, non vous voilà vous êtes là, on s’embrasse – les autres, les amis, les filles viennent ce soir, tout le monde sur la place, on ira danser oui, les platanes et le pastis sans eau, la douceur de la vie, mais la cheville qui à nouveau a enflé

on ira au camping tout à l’heure, viens on s’en fout un bain oui, la plage, la serviette, le maillot enfilé dans les toilettes du bar – marcher vers l’eau le sable chaud et les odeurs d’ambre solaire, au fond de l’horizon l’avenir est splendide, l’eau si douce et ce sel et cette tiédeur de soie – le sable, la serviette, un peu isolé plus personne et les larmes de la perte qui montent et se fondent encore, là, en ces petits amas de sable, là

je suis allé chercher des images, j’en ai trouvé certaines (ici trois, plus loin d’autres) et j’ai suivi le trajet du train j’ai trouvé des machines

est-ce toujours pareil, certainement pas

encore que

le train passait, j’admirai les paysages, sûrement bien que m’étant assis à l’ombre

tout est-il si différent

ça devait déjà exister, je n’en ai aucun souvenir

des arrêts des attentes, le soleil qui passe ici, puis là

remarque comme les arbres sont nus (l’impression de la neige au premier plan)

qui pourrait croire qu’ici vit quelque chef de gare, quelque famille

si je me souviens, le train siffle aux passages à niveau

continuons, ça ne va pas tarder

voilà la dernière image

puis c’est à peu près là que je me suis rendu compte que non, ce n’était pas la bonne direction, j’ai pris vers le sud et mais c’est au nord qu’il me fallait aller

doubler le voyage - c'est sans doute un peu à rebours, je suppose -mais les images sont toujours vraies tu sais - je ne choisis que peu - elles sont toujours déjà là et s'imposent - elles pourraient aussi bien s'intégrer au corps même du texte - je ne tiens pas à me perdre non plus que vous mais c'est arrivé 

Norma viendra en son temps (la voici) : 
Mettons que je reprenne dans l’ordre (pourquoi faire, sinon de l’ordre ? ) les diverses personnes qui travaillent à cette histoire, la faire venir aboutir, elles sont trois, Norma, l’héroïne, le vieux « fauteuil » et le tueur à gages – écrits comme ça les protagonistes sont sortis du suspens – il y a d’autres personnages, seconds rôles, l’infirmière, l’épicier, la voisine rousse, l’agent de liaison (qui est une femme), la gérante du patrimoine, le chauffeur – il y a des gens qu’on ne voit pas, la police, les divers acteurs – les précédents locataires de la maison verte, d’autres encore – peut-être faudrait-il faire monter en présence l’enquêteur – le faire arriver là, le surlendemain sans doute, le même jour pour resserrer, penser à le faire croiser le meurtrier (ce n’est qu’un tueur, un meurtrier a un intérêt autre que financier à tuer) qui part à la gare (il y a ce qui vient d’être lu, ce fameux(?) « les genres littéraires sont des ennemis qui ne vous ratent pas, si vous les avez ratés, vous, au premier coup ») vers un autre forfait probablement – il y avait aussi cette envie d’en faire le locataire suivant – mais Norma aurait alors disparu peut-être – ce n’est pas elle qui ira crier au monde la mort du vieux mais probablement celle qui vient faire le ménage – une fois par semaine, le mardi – il se peut que le tueur ait eu cette information puisqu’on sait tout de ce que fait le sale type qui y est passé et c’est tant mieux – reprendre sans doute la topique ou le trope le sillon l’ornière peut-être qui cherche à expliquer justifier comprendre valoriser le fait de priver de vie quelqu’un qui en a fait de même avec bien d’autres – on en dit alors qu’il (ou elle – mais c’est certainement moins courant) « mérite la mort ». 

Qui, déjà, nous disait "gémir pleurer prier est également lâche"  (Vigny Chénier, quelque romantique en diable)


A propos de Piero Cohen-Hadria

(c'est plus facile avec les liens) la bio ça peut-être là : https://www.tierslivre.net/revue/spip.php?article625#nb10 et le site plutôt là : https://www.pendantleweekend.net/ les (*) réfèrent à des entrées (ou étiquettes) du blog pendant le week-end

4 commentaires à propos de “#voyage #02 lendemain/gares”

  1. quel plaisir de vous accompagner
    pour tout le début et pour le Limone-Vintimille ai eu la sensation (pas certaine que ça vous plaise mais j’aimais bien) d’être avec des personnages d’Antonioni et de les comprendre mieux…
    ce dont j’aurais voulu être capable ce ton au lieu de ce qui devient de semaine en semaine un peu plus tracts de syndicat d’initiative un peu amélioré..
    vous c’est habiter

  2. J’ai essayé ça aussi, il y a une bonne trentaine d’années, après le vélo le kick et la Yamaha YZ 100 cm3 dans les chintes des vignes. — Le trajet des images, c’est la même ligne ? les dernières me font penser aux aiguilles de Bavella. — J’ai retrouvé un Tube Citroën à côté de la gare, transformé en local street food, il était déjà là aussi ? — Bonne recherches. Vu où je me retrouve en ce moment (en Iran, à Tabriz — dans mes lectures), Google Maps c’est le service minimum. Et pas facile de se souvenir de là où l’on n’est jamais allé !

    • @Will : « chintes » tu dis? Bon. Justement le trajet c’est la ligne qui va vers Ajaccio, et non celle qu’il emprunta (le petit train qui va dans la montagne) – quant au tube citroën je ne sais pas dire… Merci à toi Will et bonne suite