##le_double_voyage #02 | mouettes rieuses et Malkhout

#02 l’arrivée en ville | mouettes rieuses et Malkhout

Sur la place les mouettes se disputent les restes de poissons laissés dans les caisses à la fin du marché. Elles gueulent leurs cris s’interrompent, s’intimident, se menacent. Les becs piquent rapidement un morceau qui leur est dû, piquent en gueulant de laisser le passage du moins c’est ce que j’imagine à la sortie de la rame du métro à l’heure de pointe quand je rentre le passage m’est dû, je fonce il suffit parfois d’une parole quelqu’un d’énervé lui aussi pour que nous piquions, nous croassons plutôt nous glapissons, nous jappons, un cri du bec. Ce sont des mouettes rieuses. Les unes ont remonté la Seine en provenance du nord de l’Europe, d’autres ont longé la côte bretonne puis la Manche. Au Havre elles ont continué de suivre on ne sait comment, s’éloigner de la mer, suivre le fleuve, en ville les températures sont plus clémentes. Elles ont continué, et se sont installées à Paris. En première couronne plus précisément, parce qu’ici elles entendent – le bois est proche – des cris de leur espèce. Elles ont passé déjà un hiver, ont nidifié. Elles glanent sur l’esplanade du marché des restes de poisson. C’est leur vie en banlieue, loin des côtes, des marées, des copains d’estran et des ports… Qu’est-ce qu’un voyage sinon dialoguer avec le monde ? Avec cette réalité hybride du monde, en dehors de sa côte native, en lien avec les restes des poissonniers plutôt qu’avec ceux des pêcheurs en mer ? Cette réalité rugueuse à étreindre, les mouettes rieuses sur la place après le marché m’en font la démonstration.

Ici quelqu’un se réclame d’une vie qui ne doive rien à ce qui existe. Il, elle, m’intime de la faire néanmoins exister. Je ne note pas mes points d’interrogation, j’ouvre une page : la couverture du livre est noire, sans nom d’auteur. Cinq lettres blanches en capitales séparées par un point – de ce mot je préfère ne pas révéler l’identité. J’arrive à Malkhout. Un arbre-monde dans lequel on entre par les racines. On y confond les rivières et les lignes de sèves. Le rapport Meadows pousse un cri au fond des rêves, un long rêve né en 1972. Orang-outang signifie « personne de la forêt » et là-bas d’Amazonie, de Tasmanie, sur la carte amérindienne, des entités naturelles ont obtenu une existence juridique. Est-ce la vie qui ne doit rien à ce qui existe ? La vie qui doit quelque chose à ceux qui n’existent pas dans son droit à vivre, qui doit quelque chose à ses colocataires de sphère, à ceux qui sèvent plusieurs siècles, rochent plusieurs millénaires ? Je sens que nos rêves ont trop d’époque au ventre, trop de minerai, de particules nocives, de chimie de synthèse sur le corps. Je croque encore ses pommes, ses kiwis de Nouvelle-Zélande, ses oranges d’Israël, ses amandes Californie transportées par un conteneurs d’environ 800 mètres de long jusqu’au Havre, acheminées en camion jusqu’à Rungis. Je mens je réduis la distance de ma bouche-monde, je prends le circuit court et regarde passer les conteneurs depuis Caudebec, Villequier, mon vélo sur le quai, devant la maison Vacquerie devenue musée Victor Hugo, à quelques pas au pied du cimetière de la famille Hugo. Quelques mouettes rieuses devant moi, remonteront-elles aussi en petite couronne de Paris ? Nous allons être voisines.

#01 la nuit d’avant | sans queue ni tête

La nuit d’avant je nage sans queue ni tête.

Une localisation m’ignore, et continuera de m’ignorer quand j’aborderai sa région.

Une fois arrivée je serai enfin en route. Est-ce un peu cela qu’on peut nommer le territoire « hors-la-vie » ?

Un ballotement de carte froissée. Un voyage au brouillon.

J’aimerais bien aller voir l’explosion démographique dans une ville ultra peuplée où la circulation

est moins organisée qu’ici. On entendra les scooters, les motos, les taxis, les taxi-motos, les bus, les voitures à moteur thermique,

On n’entendra pas les vélos, les rickshaw, ni les piétons, ni les oiseaux.

Avant de partir, la question bête : à quoi ressemblent les toilettes à travers le monde ? Le 19 novembre est leur journée mondiale, journée mondiale des toilettes. Dans le district de Villa María del Triunfo, à Lima, au Pérou, il n’y a pas d’eau courante. Les familles achètent des citernes d’eau une fois par semaine. A l’extérieur du village une cabane de vieilles planches de bois surmontées d’une plaque de tôle ondulée. La cabane, coincée dans la pente.

Lire un menu dans une langue que je ne parle pas, sans explication. Venir aux gouts ici.

J’ai rencontré Chimamanda Ngozi Adichie, Toni Morrison et Zora Neale Hurston à Woodstock en compagnie de Janis Joplin, Joan Baez et Aretha Franklin. C’était une cosmoroute incroyable.

J’aimerais bien faire le tour du monde avec un bonnet d’âne et une pancarte « ultralibéralisme : ânerie pour mal braire ».

Le tour du monde en 80 crises…

Il faudra repartir.  

A propos de Nolwenn Euzen

blog le carnet des ateliers amatrice de randonnée (pédestre et cycliste) et d'écriture, j'ai proposé des séjours d'écriture croisant la marche et l'écriture, et des ateliers deux livres papiers et un au format numérique "Babel tango", Editions Tarmac "Cours ton calibre", Editions Qazaq "Présente", Editions L'idée bleue revues La moitié du Fourbi, Sarrasine, A la dérive, Contre-allée, Neige d'août, Dans la lune...

2 commentaires à propos de “##le_double_voyage #02 | mouettes rieuses et Malkhout”

  1. chouette ce fil déroulé autour des mouettes et de leur installation hors littoral…
    aussi cette réflexion — nécessaire — sur le monde autour de nous
    mais de quel voyage t’empares-tu finalement ?

    • Merci de ton retour, Françoise. Besoin de large, de flou, flottement – aucune idée d’un voyage construit pour l’instant, je me laisse porter par des bribes de sauts, de déplacements, de pourquoi, qui sont mes voyages. On aperçoit un vélo, la Seine, mais je repartirai peut-être ailleurs, et peut revenir à quai à tout moment. Bon week-end, bonnes écritures ! J’ai lu ton voyage sans laisser de mots, prochaine étape, oui.