#voyages | un détour vers l’avenir

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prologue

Je suis à Tokyo, l’authentique quartier de Yanaka Ginza à Colombo, l’odeur du curry comme une empreinte indélébile, je suis à Sydney, les grains de sable fins de Bondi beach, je suis à New York, 24 Bond Street, fifth floor, 1972, je suis à Johannesburg, vieux rock et blousons noirs un soir d’été, il y a longtemps, je suis à Abidjan, moiteur et chaleur et ce petit chemin de terre au milieu des hautes herbes, je suis à Buenos Aires, la Boca et ce café au nom depuis oublié, ces airs de tango, je suis à Mexico, un pas en arrière dans le temps et le présent sous un voile de pollution, je suis à Chicago, verrière et luminosité accrue au 209 South LaSalle Street, je suis à Karachi, 1992, couvre-feu et un taxi file dans la ville, je suis à Montréal, son réseau souterrain et un hiver sans jour, je suis à Albuquerque, sur les traces de Walter White, je suis à Dakar, voilà pourquoi ce chien s’appelait Yoff, je suis à Petra, la magie du message du vent dans tes cheveux, je suis à Chino, cette photo de ce vieux DC3, je suis à Venise, en dehors de la foule /// je suis à Kyoto, pour sentir le souffle de la ville, je suis à Berlin, pour revivre l’underground, je suis à Irkoutsk, pour rêver du transsibérien, je suis à Reykjavik, pour se rapprocher d’Erlendur, je suis à Séville, pour explorer la route jusqu’à l’Alhambra, je suis à Specchia, pour se lover au cœur des Pouilles, je suis à Istamboul, pour se souvenir de ses faïences murales, je suis à Lisbonne, pour marcher sur tes traces, je suis à Essaouira, pour vérifier que ton nom en vaut la peine, je suis à Missoula, pour pêcher à la mouche des truites, je suis à Olinda, pour se souvenir de cet instant magique, je suis à Valapraiso, pour explorer sa folie, je suis à Ouessan, pour retrouver un sens à la solitude, je suis à Kiruna, pour l’expérience du déplacement d’une ville

la nuit d’avant

S’arracher au quotidien, vivre une aventure au-delà des frontières, ressentir l’émotion de ces lieux qui envoûtent l’esprit et hantent les vies pour toujours. S’évader et explorer l’espace sans aucune limite, dire je pars, tourner la clé dans la serrure de la porte et tout laisser derrière soi, juste se mettre en mouvement et peu importe le but, car dans cette aventure, le voyage compte plus que la destination. Les nuits d’avant se ressemblent toutes ou presque. C’est la même agitation intérieure, la même excitation du départ proche, le même sentiment d’abandon, la même angoisse de l’inconnu qui tiraillent l’intérieur du corps, de l’esprit.

Dans cette chambre cabine d’un hôtel aéroportuaire à la décoration impersonnelle, alors qu’elle n’aspire qu’à un ailleurs proche trop souvent fantasmé, presque usé, elle a la sensation que les murs se resserrent, lui offrent une vision restreinte de la pièce, rentrent dans le cœur même de son cerveau. La nuit va être longue. Dans le couloir, des portes claquent, des éclats de rire, tout se mélange et fait écho. Ses bagages s’entassent dans un coin. Le moment vient de faire et refaire mentalement la check-list de ce qu’il lui semblait utile d’emporter, un bout de sa vie. Allongée sur le dessus de lit, son corps présent dans cette réalité, elle ne peut s’empêcher d’anticiper la route à venir. Son esprit a déjà fait le saut. Elle nage dans un entre-deux déroutant. Les yeux collés au plafond, c’est l’attente imposée, cette sensation qui creuse à l’intérieur. La fatigue engourdit son corps, elle décompte les heures jusqu’au réveil matinal, trop matinal. Sur les murs se projette l’ombre intrusive de la lumière crue des réverbères, une enseigne rouge n’a de cesse de clignoter. L’heure de programmation de la sonnerie de son portable une nouvelle fois vérifiée, elle finit par sombrer dans un demi-sommeil entre ici et là-bas.

l’arrivée dans la ville

Arriver quelque part un matin d’hiver, un soir d’été et sentir les vibrations de la ville au loin tel un aimant qui invite à la découverte, à la curiosité d’un lieu, d’un espace et ressentir au fond de soi ce petit picotement intérieure comme un appel à poursuivre. La ville est là, offerte à qui sait écouter, regarder, sentir et peu importe par quelle entrée on l’aborde, elle deviendra docile dès lors que la confiance en elle deviendra palpable.

Il y a tellement de pays à explorer qu’il est impossible de se mettre en chemin pour une destination en particulier. Dans quelle direction partir, elle ne l’a jamais su, le contexte a souvent décidé pour elle. Alors, de cette chambre d’hôtel à l’aéroport, des enfilades de couloir aux postes de sécurité, des zones sous douane à la porte d’embarquement, il n’y a qu’un pas à franchir. Et c’est dans ce contexte où rien ne compte plus que le voyage en lui-même qu’elle traverse l’océan d’est en ouest pour se retrouver quelques heures plus tard, comme par magie, dans les entrailles d’une ville encore inconnue d’elle.

impossible retour

Et cette sensation de n’être jamais parti la saisit alors qu’elle marche dans la rue, profite de cet instant qu’elle perçoit décalé, hors du réel, ailleurs. Était-ce le temps d’avant ou celui qu’elle tente de retenir pour quelques heures encore ce jour de juillet ensoleillé ? En marchant dans les rues, les souvenirs s’entrechoquent, la ville d’hier est à la fois la même aujourd’hui et tout autre. C’est une redécouverte des lieux, des sensations, des odeurs, des bruits, une perception de la mémoire ancienne avec le déroulé du moment présent qui à son tour forme une autre strate puis deviendra souvenir. Impossible de repartir, de revenir, de laisser derrière elle ce goût persistant de la ville.

On aurait pris la route en juillet peut-être avec un brin de folie, sans envisager un retour possible. Juste ressentir cette sensation de rouler tout droit, là où la route nous mènerait si on se laisser guider par l’instant. On envisagerait que cet impossible retour n’existe pas. On penserait à revenir encore et encore. On ferait en sorte que les retours se multiplient sans cesse, à l’infini et les départs aussi. Toujours revenir sur le lieu, repartir, en découvrir d’autres, explorer le rien, le peu, le suivant, mais à la fin on avancerait dans notre quête et on ne se retournerait probablement plus. Refaire dans la tête les trajets déjà parcourus, visualiser ceux à venir et se dire que dans cette fuite en avant un hypothétique retour ne sera plus envisageable. On y croit encore.

halte

Éviter le plus possible les Interstates, rouler sur la route parallèle, celle qui offre des trajets sinueux, parfois surprenants, faire défiler ces paysages qu’elle affectionne particulièrement et s’arrêter sur un lieu insolite, un endroit perdu, isolé, délaissé par la communauté des voyageurs parce que la route elle-même a changée, s’est modernisée, est devenue victime du chronomètre. Alors se poser sur le parking d’un motel désaffecté. Avant, des voitures stationnaient devant chacune des portes aujourd’hui défoncées, le soleil tapait sur les vitres, réchauffait les intérieurs climatisés maintenant en plein courant d’air. La machine à glace défoncée gît à moitié bancale en bas des escaliers du second étage et dans le hall de réception à la tapisserie déchirée, le canapé aux couleurs flétries stagne au milieu de la pièce un pot de fleurs artificielles couché à ses pieds. 

On partirait en fin de journée et on roulerait quelques heures plein ouest. Le soleil déclinerait, deviendrait aveuglant et laisserait une sensation de picotement dans les yeux, comme une légère brulure. Le ciel changerait peu à peu de ton, comme par magie il s’enflammerait. Ce serait le moment idéal pour s’arrêter sur le bord de la route et peut-être qu’on trouverait notre Bagdad Café à nous pour faire une halte de quelques heures, quelques jours, tout au plus, le temps de ressentir les vibrations de la terre sous nos pieds de baroudeurs et repartir. L’air serait sec et doux à la nuit tombée. Une légère brise se lèverait juste après le repas que nous aurions pris à proximité d’une terrasse en bois et nous serions assis sur des transats à regarder passer sur la route peu fréquentée des pick-up fantomatiques aux vitres teintées.

repères

Interstate I-40 | Jamais très loin, souvent sur notre droite, parfois de l’autre côté. Un long ruban ininterrompu vers l’ouest. Ici, elle contourne la ville par le sud.

Théâtre | Une façade à l’abandon, une ancienne affiche toujours sous la vitre protectrice et son coming soon, Motherless Brooklyn. La porte est ouverte et dans le hall, des sacs de ciment empilés, une truelle, un tournevis, des pots de peinture, une bâche blanche et d’autres outils utiles à la rénovation. Personne en vue.

Motel | A l’entrée de la ville, c’est la désolation, ce motel est désert, vidé de son âme. Sur le parking, la nature a repris ses droits, des touffes d’herbes colonisent le bitume rouge. Une caméra de surveillance pend à un fil en direction de la piscine au bordures faïencées, fosse de béton aux formes arrondies où des jeunes, skate à la main, pourraient se l’approprier comme aire d’entrainement.

Parking | Un espace vide, deux, trois voitures garées en plein soleil et au fond, un mural. Une vraie fresque de plusieurs mètres de long où semble se jouer une scène de l’ouest, paysage lunaire, troupeau de vaches, cowboy sur son cheval, puit de pétrole.

Diner | Le comptoir chromé, sans cesse nettoyé avec à disposition sucre, dosettes de crème, confiture, ketchup et tabasco, s’étire sur toute la longueur de la salle, parallèle à la façade du bâtiment. Les tabourets sur pied unique fixé au sol, dossiers rembourrés recouverts de skaï vert jade attende le passant. Sur les banquettes, des petits déjeuners sont servis souvent à des habitués.

Enseigne | La nuit tombe, l’enseigne s’illumine. Vacancy clignotte en rouge.

Curiosité locale | En forme de teepee, l’entrée du Tepee Curios tapissée de photos, cartes postales ou autocollants offre sur la gauche un poster pratiquement grandeur nature de Clint Eastwood.

Gas station | Texaco et sa pompe à essence peinte en rose. Aujourd’hui, la peinture s’écaille. Elle n’est plus utilisée, mais reste là, à cuire au soleil, comme témoin d’un temps révolu, d’une autre époque où le rose ne l’habillait pas encore.

Main street | A sept blocks au nord de la 66, renommée Tucumcari Blvd, Main Street sur l’US 54 trouve son centre au croisement de la 1st Street. Quelques magasins, banques, églises, murals dessinés sur des murs en briquettes rouges, des locaux désaffectés à l’abandon, une salle de gym, un café au nom à consonance espagnole. 

qui raconte à qui//Depuis quelques jours montait en elle le désir de réécouter sa voix, juste pour ne pas l’oublier, garder cette douce intonation en elle encore quelque temps avant que ne s’efface ce souvenir. Elle avait retrouvé dans un tiroir de son bureau des cassettes audio oubliées depuis plusieurs décennies. Le temps était venu de retrouver le lecteur, de le brancher sur secteur et d’enclencher le bouton marche. L’émotion la gagnait. A la mise en route, c’est d’abord un fort grésillement, puis un souffle, comme une libération, et la voix. Une voix chaude aux intonations parfois cristallines, une voix familière qui dès les premiers mots annonçait le moment à vivre, racontait les paysages sauvages, les villes décalées, les routes sans fin, les forêts primitives, les visages tournés vers les sommets, les regards abîmés par le soleil persistant, et se perdait dans l’immensité de soi. Cette voix a résonné jusque tard dans la nuit entre les murs de pierre de son habitation posée dans un paysage désertique de carte postale. Elle a fermé les yeux pour mieux s’en imprégner, pour l’habiter et faire revivre au fond d’elle-même ce sentiment intime d’avoir vécu ces moments uniques. A son tour, elle racontera son expérience, ses départs différés, ses retours incertains et cette marche ininterrompue à travers sa propre histoire. Des bribes seront éparpillées par le vent au petit matin, d’autres se perdront dans le désert tout proche ou se feront écho au cœur des montagnes sauvages. Qu’importe, la voix des cassettes et la sienne se multiplieront au fil du temps pour perpétuer l’expérience du voyage physique et intérieur des existences en quête de demain.

un tout petit voyage//C’était le milieu de l’été. Et de cette fin de journée, remontait à la surface la chaleur emmagasinée durant de longues heures dans le sol craquelé et terreux. On avançait sur Main Street, simple ligne droite parallèle à la ligne de chemin de fer, et de chaque côté on imaginait quelques commerces utiles aux devantures délavées, en briquettes ou bois peint, et aux rideaux tirés derrière des portes d’accès cadenassées. La rue était déserte. Deux voitures et un pick-up stationnaient devant un motel défraîchi à l’enseigne lumineuse défectueuse. Quelques mètres plus loin, la nature sauvage reprenait ses droits. On a fait demi-tour comme si le film s’était déroulé trop vite, comme si on n’avait rien compris à l’histoire. Dans le sens inverse, un autre regard se portait sur des images déjà vues, mais toujours aucune âme ne se déplaçait. Sous un porche, une enseigne se balançait indifférente, grinçait à chaque mouvement. A l’autre extrémité de la rue, celle par laquelle nous sommes arrivés en premier, nous avons refait demi-tour, toujours aussi incrédules de l’absence de vie en ce lieu de passage. Le bruit du moteur de l’auto semblait décalé, inopportun. On a garé la voiture sur le côté et on a tourné la clé. On est sorti du véhicule sans claquer les portières et on a balayé du regard la scène autour de nous. Sur le banc à côté, on s’est assis pour manger en silence les restes de midi regroupé dans un doggy bag en carton. Avant qu’on ne reprenne la route, une limousine aux vitres teintées est passée dans la direction inverse de la nôtre, elle a traversé l’espace comme dans un rêve, inexistante au réel. 

reconstitutions

– sur la carte, c’est trop loin, vraiment trop loin, pas le temps pour cet itinéraire secondaire. Grande déception. Il aurait fallu faire l’impasse sur Santa Fe, Mexican Hat, Monument Valley entre autres.

– pourtant, de Flagstaff, prendre l’Interstate 17, l’Arizona Veterans Hwy, et rouler en direction du sud, c’est tout droit.

– au départ, panneau vert au-dessus de la route : Sedona, Phoenix (en caractère plus gros)

– sur viamichelin.fr prévoir 3h34 de conduite sur 230 km et 31,43€ de frais jusqu’à Phoenix, mais la route ne s’arrête pas là, il faut encore rouler.

– paysage de forêt de conifères, puis l’altitude baisse et s’installe un paysage plus désertique

– il y a ce paysage désertique à photographier

– noter sur le carnet bleu les différents arrêts de la journée

– puis de Phoenix, rejoindre Tucson par l’I-10 East et rouler durant 2h45 sur 182km (22,55€ de frais au 04/23). Il faudra ajouter encore une centaine de km pour arriver à Patagonia. 

Rappel 1 : La distance de Tucson à Patagonia est de 96 kilomètres par la route y compris 27 kilomètres sur autoroute. La route prend environ 1 heure et 8 minutes et passe par Polvo et Sonoita.

Rappel 2 : There are 48.18 miles from Tucson to Patagonia in southeast direction and 60 miles (96.56 kilometers) by car, following the AZ 83 route.

Tucson and Patagonia are 1 hour 22 mins far apart, if you drive non-stop.

This is the fastest route from Tucson, AZ to Patagonia AZ

The halfway point is Santa Rita Foothills, AZ.

Tucson, AZ and Patagonia, AZ are in the same time zone (MST). 

Rappel, rappel, rappel pour ne pas se tromper, pour ne pas manquer un embranchement, pour se rassurer, pour arriver à l’heure, pour se préparer, pour mémoriser la route retour

– les chats vont bien, on les a vu sur la caméra fixe placée dans le salon. La nuit, beaucoup d’allées et venue

– se souvenir de la recette du cheesecake original, même si loin de New Yok. Surtout penser à acheter du Philadelphia au supermarché en rentrant. 

– on se rend compte que la frontière mexicaine est toute proche

– dans la rue principale, on s’arrêterait au 400 W. Naugle Ave, à l’enseigne Wagon Wheel Saloon, pour partager une bière et manger un Western Burger à $10,95 en mémoire de J.H.

histoires

Virginia Kingley raconte comment George L. Coleman Sr, un éminent homme d’affaires, a fait construire au milieu de nulle part, au coin de First Ave et Main St à Miami, OK, un théâtre aux tendances extérieures néocoloniales espagnoles. Son portrait trône dans le hall d’entrée, mais sa mémoire est présente partout dans le bâtiment. Elle dit comment Larry Irwin, le gardien des lieux, invite les visiteurs à chuchoter et à ne pas contrarier l’ancien propriétaire dans ses errances le long des couloirs moquettés aux murs chargés de dorures, aux boiseries cirées. Elle dit aussi comment il pourrait apparaitre parfois, assis dans un fauteuil en velours rouge de la salle de théâtre, écoutant d’un air connaisseur un extrait de musique diffusée par l’orgue, une pièce maîtresse de la salle de théâtre, installé depuis le premier jour à gauche de la scène. 

Dans la légende de Tucumcari, NM, il est question d’une montagne non loin de la ville qui a vu combattre deux Indiens apaches pour succéder à leur vieux chef mourant. L’histoire raconte comment Tocom et Tonipath ont gravi la montagne à cheval, comment ils ont invoqué les esprits pour choisir un emplacement en harmonie avec leur quête et comment l’inquiétude de Kari a pesé tout au long de leur affrontement. On se demande encore où étaient les esprits ce jour-là, car rien ne se déroula comme Kari, fille du chef, le souhaitait. C’est ainsi que s’enchaîna une suite d’actes mortels, traumatisants. Tocom, l’amoureux de Kari, succomba aux attaques de Tonopath qui lui-même fut tué par Kari qui, sous l’emprise de la douleur et la colère, se donna ensuite la mort. Ce fut un réel carnage. Mais avant de fermer les yeux, le vieux chef apache, déchiré par la fin tragique de ses êtres jeunes et aimés cria par deux fois : tocom-kari, tocom-kari. 

Joyce Ellmann raconte l’histoire de la femme qui ne cessait de refaire en boucle, chaque week-end, le circuit des différents sites de tournage de la série TV Better Call Saul et Breaking Bad dans la ville d’Albuquerque, NM. Elle dit que la semaine, en rentrant du travail, elle regarde des épisodes en mangeant des plats préparés qu’elle achète au supermarché au coin de sa rue et note sur un carnet les trajets effectués par les personnages. Elle dit qu’ils sont sa seule famille et que ce rendez-vous quotidien représente l’unique note positive de sa journée, qu’elle ne vit que pour se projeter dans cette histoire, pour devenir l’histoire elle-même. Elle dit qu’elle est aussi devenue un personnage et que les deux jours du week-end sont consacrés à vivre en temps réel les péripéties vues au cours des soirées solitaires passées devant son écran TV. Elle dit qu’elle se filme et réécrit le scénario pour se faire une part belle, ce sont ses mots, dans la série culte du début des années 2000.

éclats

C’est la fin du mois de juin et le soleil est à son zénith, brûle les dalles de ciment, jaunit les plaques d’herbe dans le patio et devant le muret. Un vent chaud circule dans les rues, le drapeau US en est témoin et un vieux pick-up attend sur le parking du Wagon Whell Saloon. Et l’intérieur, on l’imagine dans la pénombre, sous l’emprise de l’air conditionné, baignant dans une atmosphère feutrée et conviviale.

Le temps est peut-être à la pluie, qu’importe, un silence pesant s’installe sous les arbres protecteurs. Caravanes usées par le temps, pick-up vétuste à la roue arrière gauche crevée. La photo ne dit pas si l’éolienne fonctionne, si le vent s’est levé, tout semble est figé. A l’arrière-plan, certainement des mobile homes, modestes habitations, et autour, un jardin aménagé et entretenu.

La pluie n’a pas détrempé le sol depuis plusieurs semaines, la terre souffre en silence, les arbustes chétifs résistent encore, pourtant le ciel se charge de nuages gris, menaçants, qui s’accrochent aux crêtes des montagnes. Comme prévu, juillet va amener son lot d’averses rafraîchissantes, mais pour l’heure, c’est l’attente, une forme de désolation.

Ce matin, elle est partie tôt et roule sur l’I-19 avec son pick-up en direction du sud. Le fond de l’air est doux, elle s’en est rendu compte dès qu’elle s’est arrêtée à la station-service pour faire le plein d’essence. Bientôt, elle bifurquera sur la 82, une route secondaire qui trace son chemin à travers un paysage désertique et monotone, une route familière si souvent empruntée durant ses jeunes années. 

Codicille au fil du temps /// Les idées partent dans tous les sens, je peine à me canaliser. Envie de tout dire, de tout écrire, de tout expérimenter. L’ensemble me paraît flou, incertains. Je n’arrive pas à décider d’une destination, d’un lieu, de l’adresse au je au tu au elle/il/on /// Impossible de définir l’un de l’autre voyage. Pas assez concentrée sur l’affaire certainement. C’est brouillon, un peu comme quand je pars sur la route, rien n’est vraiment défini, c’est l’aventure /// 26.02 Peut-être partir sur du conditionnel et l’utilisation du on. Tenter /// 06.03 se reconstruire avec Nicolas Bouvier… /// 14.04 Un mois sans écrire sur Double Voyages et je reprends, motivée pour terminer l’expérience, même si raccrocher après tous ces jours à se pencher sur d’autres projets n’est pas simple. Terminer et voir ce qui se dégage de ces mots /// 15.04 Voilà, posté ! sans relecture, à l’arrache, mais cette aventure est terminée. Que va-t-il en rester maintenant ?

A propos de Dominique Estampes Paillard

Un jour, j’évoquerai l’ici et l’ailleurs de mon existence, j’écrirai ma fascination pour le silence des mots, je dénoncerai l’emprise de mes gènes sur les terres lointaines, je dévoilerai mon doute quotidien, j’évoquerai l’élégance de ma ville de « bord de l’eau » et encore plus mon coup de foudre pour NY, je partagerai ma passion pour l’image, la photographie, je rigolerai devant mes grains de folie, je révèlerai les nuits blanches à écrire, à lire, je dénoncerai le manque de souvenirs de ma ville natale, Casablanca, je ferai la liste de tout ce qui aurait dû, de tout ce qui aurait pu, mais encore plus de tout ce qui a été tout en me délectant du présent. Un jour, peut-être. https://unmondeauboutdurivage.com https://www.instagram.com/hoalen64/?hl=fr