je voyais clairement tout cela et les plateaux des studios de la petite cinecittà française (but ultime de mon rendez-vous de travail) allongé dans mon silence de statue sur la couchette de ce train de nuit qui défilait de Milan à Paris alors que la veille encore j’avais essayé de dessiner les criques de l’île Ratonneau près de Marseille où le cri puissant du puffin cendré m’avait fait sentir bien vivant, avait rendu gentiment acidulées et transitoires de vieilles peines moisies et stagnantes et sur lesquelles il m’était difficile le lendemain de mettre un visage définitif de dire ce vers quoi elles avaient fini par tendre ou voyager Les traits au pastel dans un léger tremblement avaient reconfiguré des ondulations de terrains des taches de maquis des vides et des pleins des odeurs et des sons qui dans leur spécificité ne pourraient en aucun cas me parvenir des studios de cinéma vers lesquels j’avançais à pas plus ou moins feutrés dans le silence du train entrecoupé des bruits les plus variés proches ou lointains en des cadences molles parfois saugrenues ou plus marquées rythmées pour nous les passagers de façon arbitraire et suivant un balancement nocturne familier ou surprenant recréant des allures chaloupées de vieux navire malmené par le mauvais temps, de guimbarde poussiéreuse slalomant sans réel amortisseur ou de tramway essoufflé au style ancien roulant sur des rails de fortune taillés dans du carton-pâte ? (en fait d’acier) d’où se seraient échappés lors de leur contact avec les roues des voitures des grincements d’autant plus incommodants que la grande chaleur ambiante semblait aiguiser davantage ma sensibilité au bruit dans une exaspération physiologique de tout mon corps qui transpirait donc maintenant par paliers croissants, perché que j’étais au sommet des lits superposés à l’intérieur de la petite cabine aux fenêtres bloquées que je partageais avec 2 autres jeunes femmes d’origine asiatique et dont la présence si aérienne et légère se reflétait jusque dans leur fard à l’odeur poudrée de rose musquée, leur façon de bouger la tête, même leurs paires de socquettes d’un tissu synthétique extra-fin de couleur pale et irisée Elles me souriaient beaucoup sans me parler leur rire en cascades m’avait rappelé le cri léger du puffin cendré frioulais trouant le ciel en des cercles aérés, je m’étais vite endormi ayant eu tout juste le temps d’entendre le clic déterminé du verrou de la porte de notre compartiment actionné de l’intérieur
… en fin de compte la grande chaleur avait facilité mon endormissement abrupt ainsi m’éloignant définitivement de ma maigre tolérance au bruit du train en ce mois de juillet et je n’avais pratiquement pas lu ou plutôt relu encore beaucoup de pages des livres que j’avais pris avec moi pour mon séjour soit entre autres La promenade de Robert Walser, La mort d’Empedocle de Hölderlin, les œuvres théâtrales de Gogol, Lumière d’Août de William Faulkner et les récits humoristiques de Federico Fellini, cinéaste dont il se serait agi de recréer la vie et une partie de l’œuvre pour un film franco-suisse dont le tournage en studio devait justement commencer ces jours-là dans la capitale et au sujet duquel j’aurais dû écrire un article (c’était bien le but de ma visite à paris) pour une plateforme italienne numérique spécialisée, article assorti d’une série de photographies (faites avec mon propre appareil) me livrant ainsi à un travail construit collectivement depuis le passé dans une multiple stratification d’inventions/créations qui aurait dû à partir de mêmes personnages et de mêmes histoires en fabriquer d’autres en fait neufs et renouvelés au cœur de ce qui n’étaient au fond que d’anciens motifs cachés sous de nouveaux biais et de nouveaux traits retrouvés inconnus