# Boost 7 Vivre malgré

Avant, pas si longtemps encore, je marchais dans la rue ; un jour après la maladie une est venue, m’a dépassée sans effort ; j’ai continué d’avancer lentement, me tenant au mur ; j’ai pensé : une vieille s’est moisie en moi sans rien m’en dire

chaque matin je descends l’escalier de la chambre ; je n’ai pas dormi ; je trébuche jusqu’au tabouret ; j’allume la machine à côté de l’évier, j’écoute sans rien les derniers crachats noirs ; je pense dans le vide : tarie, comme une vieille

puis je vais dans le salon ; je pose le paquet de cigarettes sur mes genoux ; je m’enferme dans le fauteuil où je somnambulerai les bruits de la télé ; je pense : dégringolée, comme une vieille

mais aujourd’hui, assis dans le vif les arrivés d’hier ; je leur crie : baissez le volet ! la lumière du soleil d’en face brûle mes yeux ; je pense : desséchée comme une vieille

j’allume une cigarette ; plein le cendrier ; je nous tousse — ils ne disent rien ; je nous aurai hurlé : foutez-moi la paix ; je nous aurai enragé ! — je pense : déchiquetée de l’intérieur ; comme une vieille

je me zappe de la télévision qui parle sans moi ; je glisse les cartes sur l’écran des genoux ; toutes les heures de la journée elles font la carapace tatou aux pensées de la vieille

j’ai vécu l’enfance de campagne dans la maison des trois vieilles ; seule ; j’avais les consignes du taire et personne à qui jouer ; j’ai pris là le goût du lire ; j’aventurais le corps de page en page : je tournais les fenêtres blanches aux oiseaux du respir ; sur l’étagère des livres debout contre le mur j’ai retrouvé celui des mottes de terre chaude sous la houle des lavandes bleues

12 commentaires à propos de “# Boost 7 Vivre malgré”

  1. le leitmotiv « comme une vieille »
    et puis ce dernier volet qui vient soudain éclairer le texte, et cette merveilleuse dernière phrase dont je ne garde ici que la fin
    « j’ai retrouvé celui des mottes de terre chaude sous la houle des lavandes bleues »
    (merci Jacques)

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