VITESSE et LENTEUR.

Je l’ai vu à peine quelques minutes : partie à la manifestation, ça me plait que les pompiers se rebellent. Au début, ils sont déterminés mais calmes… quand ils se cassent le nez sur des barrières anti-émeutes. Lui je l’avais vu, avec ses copains, en combinaison blanche parmi toutes les autres jaunes et noires, je remarquai sa jeunesse et j’admirai. Déjà le fait d’être pompier, peut-être professionnel, ses parents l’avaient encouragé, il hésitait entre infirmier et pompier. Le besoin de bouger, d’aller partout en urgence l’avait emporté chez lui. Ça n’avait pas été sans mal, il voulait toujours tout, tout de suite et papillonnait. Assez bon dans tout ce qu’il entreprenait, il lui manquait la persévérance. Ce matin, la manif, il y allait de tout son cœur. Ils lui avaient dit pourtant, « Fais gaffe, ne joue pas au héros ». Je le suis dans sa marche, j’aurai aimé être à sa place, il fait avec bravache ce que j’ai souvent voulu faire. Ça ne dure pas longtemps, sous les vas-y, vas-y, des autres, le voilà qui escalade la barrière, saute par dessus et atterri sur le canon à eau des policiers tout près de l’autre côté. Un grand sourire aux lèvres, les bras en V de la victoire, à peine 3 secondes, il s’écroule sur le toit touché par…je ne veux pas savoir par quoi, sa victoire est coupée en vol. Juste le temps de faire un bras d’honneur quand même et de roulebouler vers ses copains. Comme je suis sûre qu’il va être accompagné, je me faufile par côté et marche avec rage. Il dira « C’est mon baptême du feu. Il n’y a pas de colère chez lui, pour l’honneur et pour ses copains, il sera vite sur pied et va devenir un gars solide qui ne pourra jamais oublier ce préambule à la découverte du métier. Je marche un peu plus tranquille, bien décidée à ne pas lâcher.

Dans le hall de la RATP, elle criait avec ses mots à elle, s’arrêtait , puis recommençait comme une machine. Le chef d’équipe et le délégué loin devant une cinquantaine d’employés parlaient, voulaient une réponse du directeur fermé en lui-même, les yeux inexpressifs – rage ou cynisme de celui qui attend que l’orage passe sans rien dire – Derrière tout le monde ses cris intempestifs reprenaient. « Chut! Chut! attendez, laissez-le parler ». Elle était un peu plus grande que les autres, les cheveux courts bien coiffés et un rouge à lèvre très rouge. C’est surtout sa voix qui portait très loin, c’était un peu comique de l’entendre crier d’une façon mécanique par dessus le groupe essayant d’ouvrir la discussion. Elle m’a intriguée cette femme. Elle n’avait pas tout compris, mais avait dit à son mari et ses enfants : « Ce matin, j’y vais. On ne va pas se laisser faire quand même » – « Mais maman, ce n’est pas comme ça que tu peux faire. Qu’est-ce que tu y peux, tu n’auras même pas le temps d’ouvrir la bouche ». Le père laissait faire, il avait beaucoup donné. Et la fille ainée avait été plus rude, « Tu n’y connais rien, ce n’est pas ta place, je te reconnais pas, là. » La mère est surprise, ils ne comprennent pas, ils ne sont pas d’accord, j’y vais quand même. Sur place, elle essaye de dire avec ses mots sa colère des fins de mois trop dures, sa colère d’être prise pour rien. Elle insiste, malgré les chut! chut! somme toutes assez patients, ils veulent l’empêcher mais pas trop quand même, elle doit s’exprimer elle aussi. Je l’aime cette femme. Ça lui viendra. Comme ça peut être long de sortir de la glu. Comment on fait quand on n’a pas les codes, pas les mots ? Elle va rentrer chez elle, son mari est devant les infos et ses enfants l’embrassent, tout fous- fous : « Maman, on t’aime, oublie les mots de tout à l’heure, on efface. On n’est pas toujours d’accord, mais on cherche. Allez viens, on a fait des crêpes. » Elle mettra longtemps, elle les trouvera les mots et trouvera mieux sa place. Le temps qu’il faut pour sortir de son histoire! « Une lente impatience  » titrait Daniel Bensaid.