Ronde de nuit trouée par le rond de lumière du phare, la silhouette noire comme gravée sur une médaille, le torse qui paraît nu à cause du Tshirt fondu avec la peau, noir le visage de profil, nez droit, lèvres fines, œil large, en forme d’amande dont le blanc est cerné de bleu, courbe parfaite du crâne rasé, posé sur la colonne du cou cerclé à sa base d’une chaînette d’or dont la ligne brille encore faiblement dans l’obscurité après que le scooter s’est arrêté, gaz coupés. Comme brille la visière bleue en plastique transparent au front du grand gars qui descend de la machine dans un mouvement de ballerine, jambe droite lancée par dessus le siège du passager, et qui s’est figé comme si un fantôme venait de lui apparaître dans la lueur incertaine des lampes-tempêtes accrochées aux branches du figuier, fantôme aux yeux d’obsidienne cernée de lapis lazuli, tel qu’on l’imagine dressé dans un tombeau enfoui au fond des sables et quelle découverte ! Quel émerveillement, quelle splendeur ! Les maisons de la place, le café, les clients attablés, la vieille à la fenêtre du premier, la petite fille juchée sur la poubelle, l’or de l’étoile de Venus sur la pierre de la fontaine, l’eau même… tout s’est soudain pétrifié dans le grand silence blanc qui baigne d’une lueur laiteuse les deux silhouettes dans l’obscurité, rencontre improbable de deux mondes secrètement liés, souffrances éprouvées chacun de son côté et pourtant communes aux deux. Routes rêvées ou parcourues, dureté, solitude de si loin qu’il n’y a pas d’image à l’extrémité du chemin. Pas d’image. Une présence. Parfois d’un paysage, on apprend qu’on y est déjà venu, qu’on a déjà entendu sa voix silencieuse. L’être rencontré par hasard dans un train et qu’on ne reverra jamais, il arrive qu’on l’ait perçu d’emblée dans son essence, franchissant l’apparence par un autre chemin, caverne profonde derrière le suintement de l’eau, goulot le long duquel il faut ramper pour accéder à l’illumination de l’image dans les ombres mouvantes des lampes à huile, la ligne de croupe des chevaux peints sur la paroi rocheuse à l’assaut de l’invisible ni plus ni moins que les saints debout, drapés de rouge et de bleu sur les vitraux des cathédrales. Sous la visière bleue, le visage brun aux lèvres épaisses, légèrement entr’ouvertes paraît frappé d’étonnement, comme quelqu’un qui émergerait d’une de ces grandes vagues qui coupent la respiration. Ce qu’il ne sait pas, le garçon, c’est que ce personnage venu d’un autre monde est une femme, il ne s’en doute pas et pourtant quelque chose en lui, sans qu’il puisse le formuler, le lui révèle et le trouble. En bas de la falaise, il y a les grottes qui mènent on ne sait où, loin dans le ventre de la terre, au profond des lieux où nul n’est encore allé. Dans ces cavernes où il s’est déjà aventuré, il a éprouvé ce même sentiment d’être aimanté par la présence d’un autre lui-même, l’épiant par les fissures de la roche.
Précision de la description à laquelle rien ne semble échapper – et cette chute en 2 lignes laissant soudain entrevoir tant de perspectives, j’aime beaucoup.
je me suis lancée un peu dans tous les sens à travers le temps et l’espace. ce qu’il y a de bien avec ce travail, c’est qu’on tente des choses. Merci pour le retour.