# vers une écopoétique | Le silence de l’araignée

Le silence existe-t-il ? Certains disent qu’il est toujours là et s’appuient sur l’exemple d’un bruit qui commence, passe, troue le silence avant de s’évanouir je ne sais où. Le bruit n’aurait ainsi pas perturbé le silence en l’interrompant ; il serait passé devant ou au travers. Alors en regardant l’araignée silencieuse qui montait et descendait le long de son fil invisible, il crut au silence. Puis une interrogation, au premier abord simple, lui vint à l’esprit : l’araignée s’entend-elle glisser le long de son fil ? C’est impossible de se mouvoir sans émettre un son si ténu soit-il. Lui, ne peut percevoir le son des allées et venues de l’araignée sur le fil, mais elle s’entend certainement dans cette action ; peut-être qu’une araignée fait beaucoup de bruit dans sa vie quotidienne : une sorte de crissement de soie ; un rebondissement élastique ; un gong frappé lorsque soudain elle s’immobilise. Cette idée du silence qui n’existerait pas a commencé à mûrir en lui et il entrevit rapidement où cela pouvait le conduire. Il pensa au ciel. Le ciel sans oiseaux, sans engins à moteur ne fait pas de bruit, du moins peut-être est-ce ce que l’on pense, mais le ciel en réalité émet un son. Lui-même n’émettra plus de son lorsque son cœur s’arrêtera de battre et que tous ses systèmes s’arrêteront aussi. C’est à cet instant de sa réflexion qu’il prit peur et décidait de revenir au silence, en chassant le bruit de ses pensées, car il avait besoin de s’appuyer sur l’existence du silence pour ne pas sombrer dans la permanence du bruit.

Ses réflexions reprirent rapidement. Il se maintint en équilibre sur le fil, celui de l’araignée. Dans quel monde sonore vivait-elle au milieu de son silence ? Il imagina un laboratoire dans lequel des aranéides étaient sur écoute. Un ingénieux système d’amplification sonore permettrait d’entendre crisser la soie. Bien que cela donne un sens à l’oreille humaine, un tel dispositif ne pourrait rendre ce qu’entend l’araignée dans sa lente montée du sol au plafond et ce que lui ne perçoit que comme une ascension silencieuse. Il referma la porte du placard et passa à autre chose. Devant son écran d’ordinateur et après avoir entré la perception des sons par une araignée, une mouche bourdonna proche de son oreille – si la mouche s’entend voler, cela doit être insupportable. Cela interrompit ses recherches quelques instants.

Les chercheurs frappaient-ils des mains à plus ou moins longues distances pour savoir si les araignées nous entendent ? Auraient-elles pour certaines des organes sensoriels sur les pattes pour entendre des sons ? Il s’émerveilla en lisant : la toile d’araignée est-elle une extension de son cerveau ? 

Les organes lyriformes sont des mécanorécepteurs, structures sensorielles spécialisées percevant une déformation mécanique du corps, soit par des forces internes qu’engendre l’activité musculaire, soit par des stimuli externes comme les contacts, les vibrations qui s’exercent sur la cuticule tégumentaire chitineuse, un véritable « exosquelette », soit enfin et surtout, dans leur cas particulier, par la pesanteur.

Il retourna voir l’araignée. Elle était toujours aussi silencieuse. Elle tourna sur elle-même et perçut des vibrations humaines. Du moins il le supposa. Il essaya d’entendre par vibration à son tour et ce qu’il entendit, il ne put le considérer comme réel. Il dit — bonjour, tu es la bienvenue. Elle vibra — tu es le bienvenu aussi. Il venait d’humaniser une araignée. Le silence n’était-il pas après tout le moyen le plus puissant de communiquer ?

A propos de Romain Bert

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