Vers une éco-poétique éthique # 06 | La chasse au « Ô ».. oh…oh… oh !

[…] Les pluies nomades venues de l’Est, tinteront encore au tambourin tzigane ; et les belles averses d’été, descendues de haute mer en toilettes de soirée, promèneront encore sur terre leur bas de jupe pailletées.

SAINT-JOHN PERSE, Sécheresse, Vents

Ici cette pluie n’a pas d’ombre ! On ne sait d’où elle vient Ce poète ancien l’encombre : exclamations béates, emphase désuète, arguties soporifiques. Manies intellectuelles, langage de salon, œuvre au pire louant tantôt la main de fer plus tard la vulnérabilité sensuelle de la femme. Pas de juste milieu.

Ô mélancolie de la pluie, analogie des larmes. Parole déferlante truffée de mots spécieux. Redoublement de la faconde. Complaisance à l’orage. Sauve qui peut. La pluie désacralise et tu le savais ! La pluie prend toute la nature de court. Parfois elle dévaste. Ne dit-on pas, une pluie de bombes !?

Ô générosité de la pluie, verseuse maladroite. Rigolade et dégringolades en ruissellements. Sur la vitre toc toc elle frappe au carreau. Voici des gouttes de ciel en exil. Les plantes dociles les réclament en été. La pluie exagère souvent en automne et de plus en plus à contre-saison. Ô déluge ogre humide et sans pitié.

[…] Ô menteur ! qui disait la vie

Nouée au fuseau de mon sort,

Jurant au ciel que son envie

Était de mourir de ma mort !

Échos sous le feu de mon âme ?

Tremblant de s’y brûler un jour,

Il jeta des pleurs sur la flamme :

Ô menteur ! ô menteur d’amour !

Marceline DESBORDES-VALMORE,

Les pleurs, XVII, seule au rendez-vous

Le ciel jette des pleurs sur l’âme brûlante de Marceline. A moins que ce ne soit qu’une divinité implorée en rescousse à la chair désirante. Le lyrisme prend appui sur la Nature et se répand dans le poème comme une huile essentielle parfumée qui vire au vinaigre. Outil de séduction charme à double tranchant. Il s’agit pour elle de conjurer le sentiment de solitude et d’abandon. Tous les moyens sont bons. Dis-nous si ça a marché chère Marceline !

[…] Tel qu’un insecte dans le milieu d’une bulle d’air, j’écris ce poème.

Ce n’est point de la bruine qui tombe, ce n’est point une pluie languissante et douteuse.

La nue attrape de près la terre et descend sur elle serré et bourru, d’une attaque

puissante et profonde.

Paul CLAUDEL

Sous la douceur la convoitise percutante ! Le poème mondain n’échappe pas à l’intention voilée. Est-ce pour cela que je me méfie des mots câlins et coquins en habits de vocabulaire… et de cet exercice d’atelier qui nous ressert les mêmes plats pour maintenir l’ordre du monde entre prédation et captation des sentiments par commerce interposé. L’éternelle fiancée et le héros fatigué ne font plus rêver.

Ô, combien sont perméables les frontières humaines !

Voyez-vous ces nuages qui passent impunément,

ces sables du désert filant d’un pays à l’autre,

ces cailloux des montagnes pénétrant chez l’ennemi

en d’insolents sursauts

[…]

Dans l’essaim des insectes je prendrai la fourmi

qui, entre le pied droit et gauche du douanier

ne se sent pas tenue d’avouer ses vadrouilles

Wislawa SZYMBORSKA, De la mort sans exagérer

Quel que soit le sujet, le poème s’aventure depuis toujours dans l’indicible avec des ruses de sioux. Je ne lui en veux pas de ne pas me convaincre même si son chant m’hypnotise un instant. Comme les vertébrés le poème a des os ou des arêtes. Le poème est un cheval de Trois qui n’a pas d’architecte attitré.e. Il se reconstruit sans relâche et ne reste jamais au même endroit où il a surgi et où on l’a quitté. Le poème versifié a quitté la place et il est revenu non plus lyrique mais politique dans nos oreilles surchargées. Le slam d’aujourd’hui est le nouveau perturbateur citoyen. Il sera demain dans les manuels scolaires.

A propos de Marie-Thérèse Peyrin

L'entame des jours, est un chantier d'écriture que je mène depuis de nombreuses années. Je n'avais au départ aucune idée préconçue de la forme littéraire que je souhaitais lui donner : poésie ou prose, journal, récit ou roman... Je me suis mise à écrire au fil des mois sur plusieurs supports numériques ou papier. J'ai inclus, dans mes travaux la mise en place du blog de La Cause des Causeuses dès 2007, mais j'ai fréquenté internet et ses premiers forums de discussion en ligne dès fin 2004. J'avais l'intuition que le numérique et l 'écriture sur clavier allaient m'encourager à perfectionner ma pratique et m'ouvrir à des rencontres décisives. Je n'ai pas été déçue, et si je suis plus sélective avec les années, je garde le goût des découvertes inattendues et des promesses qu'elles recèlent encore. J'ai commencé à écrire alors que j'exerçais encore mon activité professionnelle à l'hôpital psy. dans une fonction d'encadrement infirmier, qui me pesait mais me passionnait autant que la lecture et la fréquentation d'oeuvres dont celle de Charles JULIET qui a sans doute déterminé le déclic de ma persévérance. Persévérance sans ambition aucune, mon sentiment étant qu'il ne faut pas "vouloir", le "vouloir pour pouvoir"... Ecrire pour se faire une place au soleil ou sous les projecteurs n'est pas mon propos. J'ai l'humilité d'affirmer que ne pas consacrer tout son temps à l'écriture, et seulement au moment de la retraite, est la marque d'une trajectoire d'écrivain.e ou de poète(sse) passablement tronquée. Je ne regrette rien. Ecrire est un métier, un "artisanat" disent certains, et j'aime observer autour de moi ceux et celles qui s'y consacrent, même à retardement. Ecrire c'est libérer du sentiment et des pensées embusqués, c'est permettre au corps de trouver ses mots et sa voix singulière. On ne le fait pas uniquement pour soi, on laisse venir les autres pour donner la réplique, à la manière des tremblements de "taire"... Soulever l'écorce ne me fait pas peur dans ce contexte. Ecrire ,c'est chercher comment le faire encore mieux... L'entame des jours, c'est le sentiment profond que ce qui est entamé ne peut pas être recommencé, il faut aller au bout du festin avec gourmandise et modération. Savourer le jour présent est un vieil adage, et il n'est pas sans fondement.

10 commentaires à propos de “Vers une éco-poétique éthique # 06 | La chasse au « Ô ».. oh…oh… oh !”

  1. Ça m’étonne aussi, chère Nathalie, car il m’a suffi de partir à la recherche des « ô » pour en trouver à la pelle… Je me suis arrêtée très vite car j’ai eu l’impression de changer de siècle et cela ne m’a rien apporté pour cet exercice. Oui, ça déménage fort sur l’hypersensibilité aux jeux de style fortement influencés par le patriarcat. Il y a des choses qui ne passent vraiment plus. Commencer par la forme pour faire surgir le fond; n’est pas la piste à suivre pour moi. On noie trop le ( trop gros) poisson de la domination. Soyez gentilles et taisez -vous. On pense pour vous !

  2. « Ô générosité de la pluie, verseuse maladroite. Rigolade et dégringolades »
    l’aime ainsi
    l’aime pour les mots (surtout participant à belle construction comme ici) et les plantes qu’elle provoque… l’aime pas sur moi.. sauf un moment douce et bonne à boire, avant de cesser comme un miracle
    aime l’alternance/entrelacement de vos mots et de ceux des po§tes reconnus

    • Grand merci pour vos impressions de lecture. Cela me fait comprendre a posteriori pourquoi j’ai fait ce choix d’excursion brève dans la poésie estampillée gallimard… La pluie qui nous accompagne tout au long de nos existences a-t-elle besoin de poème puisque nous ne passons pas un jour sans l’évoquer. Si des poèmes existent à son propos, j’imagine que c’est dû au fait qu’on ne cesse jamais de la maudire ou de la convoquer, peut-être pour accompagner nos humeurs changeantes. Là, je plaisante à peine ! Hier et un peu aujourd’hui, elle nous a visité.e.s à Lyon et ça me rappelle brutalement que l’automne nous confisque de la lumière. Je suis donc d’humeur grise « enlacée » par les circonstances. Dans ces cas le poème « reconnu » n’est pas miraculeux pour moi… Il m’apparaît comme une capeline non étanche et un peu ridicule sur ma tête trempée comme une soupe. J’attends le retour du soleil ( raisonnable).

    • Je suis assez amusée par votre réaction. Je voulais justement ne mettre ici que quelques gouttes du Niagara de la poésie pour cacher l’abysse où nous pourrions tous et toutes tomber et oublier nos propres façons de dire… Mais lire la poésie aide forcément à choisir nos mots. Les longs poèmes comme les courts ont leurs inconvénients. Un poème lu ou un poème proclamé ne fait pas le même effet, c’est une question de respiration et de concentration. Certains poèmes sont creux ou abscons. Je me sens plus proche d’une langue poétique qui s’improvise à partir du vécu et se perfectionne en fonction des outils que l’on privilégie. La tradition sert à évacuer ce qui n’est plus utilisable dans l’environnement où on comprend les choses et soi-même. La poésie comme la prose savante m’ennuie (interminables textes…)..J’espère encore que profusion ne soit pas assimilé à overdose. Merci de m’avoir permis de préciser ce qui précède.

  3. Joli détournement du thème de la pluie vers celui du poème
    j’adore ta formule « je ne lui en veux pas de ne pas me convaincre même si son chant m’hypnotise un instant »
    et grand merci pour ce petit moment avec toi sous la capeline non étanche du poème !…

    • Oui, j’ai un peu glissé sur les pavés mouillés de St JOHN PERSE, heureusement, mes souliers ne sont pas troués ! Je me suis laissé aller à l’association d’idée et d’image, j’étais loin de ce poète, plus proche des trois autres cités. Alors en prime, je t’offre celui de Jean-Pierre Siméon qui pratique le grand art poétique et le partage généreusement.

      Ainsi marchons-nous , mon étonnée
      sous des soleils chimériques,
      les yeux battus par la pluie
      et les pas compliqués à la hâte,
      dans les environs de l’espoir.
      A l’assaut, à l’aventure,
      entre les pièges du sommeil
      et la puissance du sourire,
      contre les murs
      et sans céder.
      Nous serons ici, puis là,
      parmi les circonstances,
      formant notre pensée du cadavre blanchi
      et de l’aube absolue.
      Quelque chose n’existe pas
      que nous voyons paraître
      dans les environs de l’espoir

      Lettre à la femme aimée au sujet de la mort, Gallimard, p.64, Parions encore sur la beauté, 2017

    • Merci Betty, oui, dialoguer avec les poèmes c’est les entendre dans sa propre langue avec des limites et des débordements. Les mots de tout le monde sont les mots de chacun.e. On les manie tantôt sérieusement, tantôt avec désinvolture qui n’est pas irrespect. Les mots ne comptent que sur nous pour devenir des mains tendues au dessus du vide. L’humour de Wislawa est l’antidote à la mort qui rôde.

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