[…] Les pluies nomades venues de l’Est, tinteront encore au tambourin tzigane ; et les belles averses d’été, descendues de haute mer en toilettes de soirée, promèneront encore sur terre leur bas de jupe pailletées.
SAINT-JOHN PERSE, Sécheresse, Vents
Ici cette pluie n’a pas d’ombre ! On ne sait d’où elle vient Ce poète ancien l’encombre : exclamations béates, emphase désuète, arguties soporifiques Manies intellectuelles, langage de salon, œuvre au pire louant tantôt la main de fer plus tard la vulnérabilité sensuelle de la femme. Pas de juste milieu.
Ô mélancolie de la pluie, analogie des larmes. Parole déferlante truffée de mots spécieux. Redoublement de la faconde. Complaisance à l’orage. Sauve qui peut. La pluie désacralise et tu le savais ! La pluie prend toute la nature de court. Parfois elle dévaste. Ne dit-on pas, une pluie de bombes !?
Ô générosité de la pluie, verseuse maladroite. Rigolade et dégringolades en ruissellements. Sur la vitre toc toc elle frappe au carreau. Voici des gouttes de ciel en exil. Les plantes dociles les réclament en été. La pluie exagère souvent en automne et de plus en plus à contre-saison. Ô déluge ogre humide et sans pitié.
[…] Ô menteur ! qui disait la vie
Nouée au fuseau de mon sort,
Jurant au ciel que son envie
Était de mourir de ma mort !
Échos sous le feu de mon âme ?
Tremblant de s’y brûler un jour,
Il jeta des pleurs sur la flamme :
Ô menteur ! ô menteur d’amour !
Marceline DESBORDES-VALMORE,
Les pleurs, XVII, seule au rendez-vous
Le ciel jette des pleurs sur l’âme brûlante de Marceline. A moins que ce ne soit qu’une divinité implorée en rescousse à la chair désirante. Le lyrisme prend appui sur la Nature et se répand dans le poème comme une huile essentielle parfumée qui vire au vinaigre. Outil de séduction charme à double tranchant. Il s’agit pour elle de conjurer le sentiment de solitude et d’abandon. Tous les moyens sont bons. Dis-nous si ça a marché chère Marceline !
[…] Tel qu’un insecte dans le milieu d’une bulle d’air, j’écris ce poème.
Ce n’est point de la bruine qui tombe, ce n’est point une pluie languissante et douteuse.
La nue attrape de près la terre et descend sur elle serré et bourru, d’une attaque
puissante et profonde.
Paul CLAUDEL
Sous la douceur la convoitise percutante ! Le poème mondain n’échappe pas à l’intention voilée. Est-ce pour cela que je me méfie des mots câlins et coquins en habits de vocabulaire… et de cet exercice d’atelier qui nous ressert les mêmes plats pour maintenir l’ordre du monde entre prédation et captation des sentiments par commerce interposé. L’éternelle fiancée et le héros fatigué ne font plus rêver.
Ô, combien sont perméables les frontières humaines !
Voyez-vous ces nuages qui passent impunément,
ces sables du désert filant d’un pays à l’autre,
ces cailloux des montagnes pénétrant chez l’ennemi
en d’insolents sursauts
[…]
Dans l’essaim des insectes je prendrai la fourmi
qui, entre le pied droit et gauche du douanier
ne se sent pas tenue d’avouer ses vadrouilles
Wislawa SZYMBORSKA, De la mort sans exagérer
Quel que soit le sujet, le poème s’aventure depuis toujours dans l’indicible avec des ruses de sioux. Je ne lui en veux pas de ne pas me convaincre même si son chant m’hypnotise un instant. Comme les vertébrés le poème a des os ou des arêtes. Le poème est un cheval de Trois qui n’a pas d’architecte attitré.e. Il se reconstruit sans relâche et ne reste jamais au même endroit où il a surgi et où on l’a quitté. Le poème versifié a quitté la place et il est revenu non plus lyrique mais politique dans nos oreilles surchargées. Le slam d’aujourd’hui est le nouveau perturbateur citoyen. Il sera demain dans les manuels scolaires.